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obama

  • A méditer

    En suivant les évènements qui se déroulent aujourd'hui en France, en voyant le sursaut actuel dont j'espère qu'il aura des suites, je repensais à ce texte remarquable dans lequel Tocqueville, à la dernière page de L'Ancien Régime et la Révolution, dit son amour pour sa Nation, si surprenante, si incompréhensible parfois, mais capable des plus grandes choses lorsqu'elle sait remettre au premier plan son amour de la Liberté.tocqueville,obama,de gaulle,l'ancien régime et la révolution,condoleezza rice,dobrinyn,villepin,rafales,la fayette,cuba,phnom pen,vietnam,twin towers an

    À plusieurs reprises, depuis que la Révolution a commencé jusqu'à nos jours, on voit la passion de la liberté s'éteindre, puis renaître, puis s'éteindre encore, et puis encore renaître ; ainsi fera-t-elle longtemps, toujours inexpérimentée et mal réglée, facile à décourager, à effrayer et à vaincre, superficielle et passagère. Pendant ce même temps la passion pour l'égalité occupe toujours le fond des cœurs dont elle s'est emparée la première; elle s'y retient aux sentiments qui nous sont les plus chers; tandis que l'une change sans cesse d'aspect, diminue, grandit, se fortifie, se débilite suivant les événements, l'autre est toujours la même, toujours attachée au même but avec la même ardeur obstinée et souvent aveugle, prête à tout sacrifier à ceux qui lui permettent de se satisfaire, et à fournir au gouvernement qui veut la favoriser et la flatter les habitudes, les idées, les lois dont le despotisme a besoin pour régner.(…)

    Quand je considère cette nation en elle-même, je la trouve plus extraordinaire qu'aucun des événements de son histoire. En a-t-il jamais paru sur la terre une seule qui fût si remplie de contrastes et si extrêmes dans chacun de ses actes, plus conduite par des sensations, moins par des principes ; faisant ainsi toujours plus mal ou mieux qu'on ne s'y attendait, tantôt au-dessous du niveau commun de l'humanité, tantôt fort au-dessus ; un peuple tellement inaltérable dans ses principaux instincts qu'on le reconnaît encore dans des portraits qui ont été faits de lui y il a deux ou trois mille ans, et en même temps tellement mobile dans ses pensées journalières et dans ses goûts qu'il finit par se devenir un spectacle inattendu à lui-même, et demeure souvent aussi surpris que les étrangers à la vue de ce qu'il vient de faire ; le plus casanier et le plus routinier de tous quand on l'abandonne à lui-même, et lorsqu'une fois on l'a arraché malgré lui à son logis et à ses habitudes, prêt à pousser jusqu'au bout du monde et à tout oser ; indocile par tempérament, et s'accommodant mieux toutefois de l'empire arbitraire et même violent d'un prince que du gouvernement régulier et libre des principaux citoyens ; aujourd'hui l'ennemi déclaré de toute obéissance demain mettant a servir une sorte de passion que les nations les mieux douées pour la servitude ne peuvent atteindre ; conduit par un fil tant que personne ne résiste, ingouvernable dès que l'exemple de la résistance est donné quelque part ; trompant toujours ainsi ses maîtres, qui le craignent ou trop ou trop peu ; jamais si libre qu'il faille désespérer de l'asservir, ni si asservi qu'il ne puisse encore briser le joug; apte à tout, mais n'excellant que dans la guerre; adorateur du hasard, de la force, du succès, de l'éclat et du bruit, plus que de la vraie gloire; plus capable d'héroïsme que de Vertu, de génie que de bon sens, propre à concevoir d'immenses desseins plutôt qu'à parachever de grandes entreprises ; la plus brillante et la plus dangereuse des nations de l'Europe, et la mieux faite pour y devenir tour à tour un objet d'admiration, de haine, de pitié, de terreur, mais jamais d'indifférence ?

    Elle seule pouvait donner naissance à une révolution si soudaine, si radicale, si impétueuse dans son cours, et pourtant si pleine de retours, de faits contradictoires et d'exemples contraires. Sans les raisons que j'ai dites, les Français ne l'eussent jamais faite ; mais il faut reconnaître que toutes ces raisons ensemble n'auraient pas réussi pour expliquer une révolution pareille ailleurs qu'en France.

    Me voici parvenu jusqu'au seuil de cette révolution mémorable ; cette fois je n'y entrerai point : bientôt peut-être pourrai-je le faire. Je ne la considérerai plus alors dans ses causes, je l'examinerai en elle-même, et j'oserai enfin juger la société qui en est sortie.

    Nous sommes un pays complexe, singulier, difficile à comprendre, pour/par nous mêmes, et plus encore par beaucoup d'autres, y compris nos amis étatsuniens auxquels Tocqueville l'écrit à maintes reprises, et je repense à de Gaulle raccompagnant Dobrinyn venu menacer de déclencher des attaques nucléaires lors de la crise de Cuba et lui disant : "Eh bien, nous mourrons ensemble!". Je me souviens de son discours de Phnom Pen expliquant l'aberration de la guerre américaine au Vietnam, je repense également à la visite de Chirac aux Etats-Unis, le 18 septembre, une semaine après la destruction des Twin Towers; il était le premier chef d'Etat étranger à aller apporter son soutien au pays pour l'indépendance duquel nous avions combattu avec La Fayette . (à propos, avez-vous vu Obama?)...

    Il faut dire que nous en fûmes remerciés ; après le discours flamboyant de de Villepin à l'ONU, Condoleezza Rice déclara : « Il faut punir la France, ignorer l'Allemagne, et pardonner à la Russie » Et Dieu sait qu'ils ne nous ont pas oubliés, regardez le carnet des ventes de nos Rafales... 

    Maintenant il nous faut tenter de nous montrer à la hauteur de notre sursaut et suivre notre pente, mais comme le disait l'un de nous grands écrivains: "suivre sa pente pourvu que ce soit en montant!"

  • Pour Dieu, changez l'esprit du gouvernement, car, je vous le répète, cet esprit-là vous (nous) conduit à l'abîme

    L'argumentaire développé pour défendre le niveau de rémunération prévu pour Proglio repose sur cette évidence, soulignée par Copé, qu'il faut payer les grands managers à leur prix, au prix du marché,

    car ces gens-là... ça n'a pas de prix!

    Il est vrai que les gens de "l'élite" de la nation nous ont coûté bien cher.

    Avant la Révolution les aristocrates considéraient, après Boulainvilliers qu'ils descendaient d'une autre origine, des guerriers germains venus de Franconie, ce qui amena l'abbé Siéyès, devenu laïc et représentant du peuple à leur proposer de retourner dans leurs forêts de Franconie.

    Aujourd'hui disons "chiche!" à tous ces impayables que le monde entier nous envie. Qu'ils partent à l'étranger et n'en reviennent pas, qu'ils renoncent à leur citoyenneté française, de même que tous ces pauvres exilés de l'impôt, ces amis de Monsieur et du Fouquet'simages.jpegimages.jpeg

    "Pourquoi (le peuple) ne renverrait-il pas dans les forêts de la Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d’être issues de la race des conquérants et d’avoir succédé à leurs droits ?"

    Voyons ce que dit Obama :

    «Je suis déterminé a récupérer chaque centime dû au peuple américain et ma détermination ne peut être que renforcée lorsque je vois les profits énormes et les bonus obscènes dans les sociétés mêmes qui doivent leur survie au peuple américain, lequel continue de souffrir de la récession»images.jpeg

    Et relisons le discours que Tocqueville prononce à la Chambre, un mois jour pour jour avant le déclenchement de la révolution de 1848 parce que le pouvoir en place, par son immoralité, par l'égoïsme d'une classe qui détenait, comme aujourd'hui, tous les pouvoirs économiques et financiers, amenait naturellement à la révolution.

    Identité de situation? Même pas, la situation actuelle est encore pire puisque tout est entre les mains d'une Nomenklatura bornée et cupide!

    DISCOURS PRONONCÉ

    À LA CHAMBRE DES DEPUTES,

    LE. 27 JANVIER 1848,

    DANS LA DISCUSSION DU PROJET D'ADRESSE

    EN RÉPONSE AU DISCOURS

    DE LA COURONNE

     

    M. de Tocqueville : Mon intention n'est pas de continuer la discussion particulière qui est commencée. Je pense qu'elle sera reprise d'une manière plus utile lorsque nous aurons à discuter ici la loi des prisons. Le but qui me fait monter à cette tribune est plus général.

    Le paragraphe 4, qui est aujourd'hui en discussion, appelle naturellement la Chambre à jeter un regard général sur l'ensemble de la politique intérieure, et particulièrement sur le côté de la politique intérieure qu'a signalé et auquel se rattache l'amendement déposé par mon honorable ami, M. Billault.

    C'est cette partie de la discussion de l'adresse que je veux présenter à la Chambre.

    Messieurs, je ne sais si je me trompe, mais il me semble que l'état actuel des choses, l'état actuel de l'opinion, l'état des esprits en France, est de nature à alarmer et à affliger. Pour mon compte, je déclare sincèrement à la Chambre que, pour la première fois depuis quinze ans j'éprouve une certaine crainte pour l’avenir; et ce qui me prouve que j'ai raison, c'est que cette impression ne m'est pas particulière : je crois que je puis en appeler à tous ceux qui m'écoutent, et que tous me répondront que, dans les pays qu'ils représentent, une impression analogue subsiste; qu'un certain malaise, une certaine crainte a envahi les esprits; que, pour première fois peut-être depuis seize ans, le sentiment, l'instinct de l'instabilité, ce sentiment précurseur des révolutions, qui souvent les annonce, qui quelquefois les fait naître, que ce sentiment existe à un degré très grave dans le pays.

    Si j'ai bien entendu ce qu'a dit l'autre jour en finissant M. le ministre des Finances, le cabinet admet lui-même la réalité de l'impression dont je parle; mais il l'attribue à certaines causes particulières, à certains accidents récents de la vie politique, à des réunions qui ont agité les esprits, à des paroles qui ont excité les passions.

    Messieurs, je crains qu'en attribuant le mal qu'on confesse aux causes qu'on indique, on ne s'en prenne pas à la maladie, mais aux symptômes. Quant à moi, je suis convaincu que la maladie n'est pas là ; elle est plus générale et plus profonde. Cette maladie, qu'il faut guérir à tout prix, et qui, croyez-le bien, nous enlèvera tous entendez-vous bien, si nous n'y prenons garde, c’est l'état dans lequel se trouvent l'esprit public, les mœurs publiques. Voilà où est la maladie ; c'est sur ce point que je veux attirer votre attention. Je crois que les mœurs publiques, l'esprit public sont dans un état dangereux ; je crois, de plus, que le gouvernement a contribué et contribue de la manière la plus grave à accroître ce péril. Voilà et qui m'a fait monter à la tribune.images.jpeg

    Si je jette, Messieurs, un regard attentif sur la classe qui gouverne, sur la classe qui a des droits politiques, et ensuite sur celle qui est gouvernée, ce qui se passe dans l'une et dans l'autre m'effraye et 
m'inquiète. Et pour parler d'abord de ce que j'ai appelé la classe qui gouverne (remarquez que je prends ces mots dans leur acception la plus générale : je ne parle pas seulement de la classe moyenne, mais de tous les citoyens, dans quelque position qu'ils soient, qui possèdent et exercent des droits politiques); je dis donc que ce qui existe dans la classe qui gouverne m'inquiète et m’effraie. Ce que j'y vois, messieurs, je puis l’exprimer par un mot: les mœurs publiques s'y altèrent, elles y sont déjà profondément altérées; elles s'y altèrent de plus en plus tous les jours; de plus en plus, aux opinions, aux sentiments, aux idées communes, succèdent des intérêts particuliers, des visées particulières, des points de vue empruntés à la vie et à
 l'intérêt privés.

    Mon intention n'est point de forcer la Chambre à s'appesantir, plus qu'il n'est nécessaire, sur ces tristes détails; je me bornerai à
m'adresser à mes adversaires eux-mêmes, à mes collègues de la majorité ministérielle. Je les prie de faire pour leur propre usage une sorte de revue statistique des collèges électoraux qui les ont envoyés dans cette Chambre; qu'ils composent une première catégorie de ceux qui ne votent pour eux que par suite, non pas d'opinions
 politiques, mais de sentiments d'amitié particulière ou de bon voisinage. Dans une seconde catégorie, qu'ils mettent ceux qui votent pour eux, non pas dans un point de vue d'intérêt public ou d'intérêt général, mais dans un point de vue d'intérêt purement local. À cette seconde catégorie, qu'ils en ajoutent une troisième composée de ceux qui votent pour eux, pour des motifs d'intérêt purement individuels, et je leur demande si ce qui reste est très nombreux ; je leur demande si ceux qui votent par un sentiment public désintéressé par suite
 d'opinions, de passions publiques, si ceux-là forment la majorité des électeurs qui leur ont conféré le mandat de député ; je m’assure qu’ils découvriront aisément le contraire. Je me permettrai encore de leur demander si, à leur connaissance, depuis cinq ans, dix ans, le nombre de ceux qui votent pour eux par suite d'intérêts personnels et particuliers, ne croît pas sans cesse; si le nombre de ceux qui votent pour eux par opinion publique ne décroît pas sans cesse? Qu'ils me disent enfin, si, autour d'eux, sous leurs yeux, il ne s'établit pas peu à peu, dans l'opinion publique, une sorte de tolérance singulière pour les faits dont je parle, si, peu à peu, il ne se fait pas une sorte de morale vulgaire et basse, suivant laquelle l'homme qui possède des droits politiques se doit à lui-même, doit à ses enfants, à sa femme, à ses parents, de faire un usage personnel de ces droits dans leur intérêt si cela ne s'élève pas graduellement jusqu’à devenir une espèce de devoir de père de famille? Si cette morale nouvelle, inconnue dans les grands temps de notre histoire, inconnue au commencement de notre Révolution, ne se développe pas de plus en plus, et n'envahit pas chaque jour les esprits? Je le leur demande.images.jpeg

    Or, qu'est-ce que tout cela, sinon une dégradation successive et profonde, une dépravation de plus en plus, complète des mœurs publiques?

    Et si, passant de la vie publique à la vie privée, je considère ce qui s'y passe, si je fais attention à tout ce dont vous avez été témoins, particulièrement depuis un an, à tous ces scandales éclatants, à tous ces crimes, à toutes ces fautes, à tous ces délits, à tous ces vices extraordinaires que chaque circonstance a semblé faire apparaître de toutes parts, que chaque instance judiciaire révèle; si je fais attention à tout cela, n'ai-je pas lieu d'être effrayé? N'ai-je pas raison de dire que ce ne sont pas seulement chez nous les mœurs publiques qui s'altèrent, mais que ce sont les mœurs privées qui se dépravent? (Dénégations au centre.)

    Et remarquez, je ne dis pas ceci à un point de vue de moraliste, je le dis à un point de vue politique ; savez-vous quelle est la cause générale, efficiente, profonde, qui fait que les mœurs privées se dépravent? C'est que les mœurs publiques s'altèrent. C'est parce que la morale ne règne pas dans les actes principaux de la vie, qu'elle ne descend pas dans les moindres. C'est parce que l'intérêt a remplacé dans la vie publique les sentiments désintéressés, que l'intérêt fait la loi dans la vie privée.

    On a dit qu'il y avait deux morales : une morale politique et une morale de la vie privée. Certes, si ce qui se passe parmi nous est tel que je le vois, jamais la fausseté d'une telle maxime n'a été prouvée d'une manière plus éclatante et plus malheureuse que de nos jours. Oui, je le crois, je crois qu'il se passe dans nos mœurs privées quelque chose qui est de nature à inquiéter, à alarmer les bons citoyens, et je crois que ce qui se passe dans nos mœurs privées tient en grande partie à ce qui arrive dans nos mœurs publiques. (Dénégations au centre,)

    Eh ! messieurs, si vous ne m'en croyez pas sur ce point, croyez-en au moins l'impression de l'Europe. Je pense être aussi au courant que personne de cette Chambre de ce qui s'imprime, de ce qui se dit sur nous en Europe.

    Eh bien! je vous assure dans la sincérité de mon cœur, que je suis non seulement attristé, mais navré de ce que je lis et de ce que j'entends tous les jours; je suis navré quand je vois le parti qu'on tire contre nous des faits dont je parle, les conséquences exagérées qu'on en fait sortir contre la nation tout entière, contre le caractère national tout entier; je suis navré quand je vois à quel degré la puissance de la France s'affaiblit peu à peu dans le monde; je suis navré quand je vois que non seulement la puissance morale de la France s'affaiblit...

    M. Janvier : Je demande la parole. (Mouvement.)

    M. de Tocqueville : ... mais la puissance de ses principes, de ses idées, de ses sentiments.

    La France avait jeté dans le monde, la première, au milieu du fracas du tonnerre de sa première révolution, des principes qui, depuis, se sont trouvés des principes régénérateurs de toutes les sociétés modernes. C'a été sa gloire, c'est la plus précieuse partie d'elle-même. Eh bien! Messieurs, ce sont ces principes-là que nos exemples affaiblissent aujourd'hui. L'application que nous semblons en faire nous-mêmes fait que le monde doute d'eux. L'Europe qui nous regarde commence à se demander si nous avons eu raison ou tort; elle se demande si, en effet, comme nous l'avons répété tant de fois, nous conduisons les sociétés humaines vers un avenir plus heureux et plus prospère, ou bien si nous les entraînons à notre suite vers les misères morales et la ruine. Voilà, Messieurs, ce qui me fait le plus de peine dans le spectacle que nous donnons au monde. Non seulement il nous nuit, mais il nuit à nos principes, il nuit à notre cause, il nuit à cette patrie intellectuelle à laquelle, pour mon compte, comme Français, je tiens plus qu'à la patrie physique et matérielle, qui est sous nos yeux. (Mouvements divers.)

    Messieurs, si le spectacle que nous donnons produit un tel effet vu de loin, aperçu des confins de l'Europe, que pensez-vous qu'il produise, en France même, sur ces classes qui n'ont point de droits, et qui, du sein de l'oisiveté politique à laquelle nos lois les condamnent, nous regardent seuls agir sur le grand théâtre où nous sommes? Que pensez-vous que soit l'effet que produise sur elles un pareil spectacle?

    Pour moi, je m'en effraye. On dit qu'il n'y a point de péril, parce qu'il n'y a pas d'émeute ; on dit que, comme il n'y a pas de désordre matériel à la surface de la société, les révolutions sont loin de nous.

    Messieurs, permettez-moi de vous dire que je crois que vous vous trompez. Sans doute, le désordre n'est pas dans les faits, mais il est entré bien profondément dans les esprits. Regardez ce qui se passe au sein de ces classes ouvrières qui, aujourd'hui, je le reconnais, sont tranquilles. Il est vrai qu'elles ne sont pas tourmentées par les passions politiques proprement dites, au même degré où elles en ont été tourmentées jadis; mais ne voyez-vous pas que leurs passions, de politiques, sont devenues sociales? Ne voyez-vous pas qu'il se répand peu à peu dans leur sein des opinions, des idées, qui ne vont point seulement à renverser telles lois, tel ministère, tel gouvernement même, mais la société, à l'ébranler sur les bases sur lesquelles elle repose aujourd'hui? N'écoutez-vous pas ce qui se dit tous les jours dans leur sein? N'entendez-vous pas qu'on y répète sans cesse que tout ce qui se trouve au-dessus d'elles est incapable et indigne de les gouverner; que la division des biens faite jusqu'à présent dans le monde est injuste; que la propriété repose sur dès bases qui ne sont pas les bases équitables? Et ne croyez-vous pas que, quand de telles opinions prennent racine, quand elles se répandent d'une manière presque générale, quand elles descendent profondément dans les masses, elles doivent amener tôt ou tard, je ne sais pas quand, je ne sais comment, mais elles doivent amener tôt ou tard les révolutions les plus redoutables ?

    Telle est, Messieurs, ma conviction profonde ; je crois que nous nous endormons à l'heure qu'il est sur un volcan (Réclamations), j'en suis profondément convaincu. (Mouvements divers.)

    Maintenant permettez-moi de rechercher en peu de mots devant vous, mais avec vérité et une sincérité complète, quels sont les véritables auteurs, les principaux auteurs du mal que je viens de chercher à décrire?

    Je sais très bien que les maux de la nature de ceux dont je viens de parler ne découlent pas tous, peut-être même principalement, du fait des gouvernements. Je sais très bien que les longues révolutions qui ont agité et remué si souvent le sol de ce pays ont dû laisser dans les âmes une instabilité singulière; je sais très bien qu'il a pu se rencontrer dans les passions, dans les excitations des partis, certaines causes secondaires, mais considérables, qui peuvent servir à expliquer le phénomène déplorable que je vous faisais connaître tout à l'heure; mais j'ai une trop haute idée du rôle que le pouvoir joue dans ce monde pour ne pas être convaincu que, lorsqu'il se produit un très grand mal dans la société, un grand mal politique, un grand mal moral, le pouvoir n'y soit pas pour beaucoup.

    Qu'a donc fait le pouvoir pour produire le mal que je viens de vous décrire? Qu'a fait le pouvoir pour amener cette perturbation profonde dans les mœurs publiques, et ensuite dans les mœurs privées? Comment y a-t-il contribué?

    Je crois, Messieurs, qu'on peut, sans blesser personne, dire que le gouvernement a ressaisi, dans ces dernières années surtout, des droits plus grands, une influence plus grande, des prérogatives plus considérables, plus multiples que celles qu'il avait possédées à aucune autre époque. Il est devenu infiniment plus grand que n'auraient jamais pu se l'imaginer, non seulement ceux qui l'ont donné, mais même ceux qui l'ont reçu en 1830. On peut affirmer, d'une autre part, que le principe de la liberté as reçu moins de développement que personne ne s'y serait attendu alors. Je ne juge pas l'événement, je cherche la conséquence. Si un résultat si singulier, si inattendu, un retour si bizarre des choses humaines, a déjoué de mauvaises passions, de coupables espérances, croyez-vous qu'à sa vue beaucoup de nobles sentiments, d'espérances désintéressées, n'aient pas été atteints; qu'il ne s'en soit pas suivi pour beaucoup de cœurs honnêtes une sorte de désillusionnement de la politique, un affaissement réel des âmes ?

    Mais c'est surtout la manière dont ce résultat s'est produit, la manière détournée, et jusqu'à un certain point subreptice, dont le résultat a été obtenu, qui a porté à la moralité publique un coup funeste. C'est en ressaisissant de vieux pouvoirs qu'on croyait avoir abolis en Juillet, en faisant revivre d'anciens droits qui semblaient annulés, en remettant en vigueur d'anciennes lois qu'on jugeait abrogées, en appliquant les lois nouvelles dans un autre sens que celui dans lequel elles avaient été faites, c'est par tous ces moyens détournés, par cette savante et patiente industrie que le gouvernement a enfin repris plus d'action, plus d'activité et d'influence qu'il n'en avait peut-être jamais eu en France en aucun temps.

    Voilà, messieurs, ce que le gouvernement a fait, ce qu'en particulier le ministère actuel a fait. Et pensez-vous, messieurs, que cette manière, que j'ai appelée tout à l'heure détournée et subreptice, de regagner peu à peu la puissance, de la prendre en quelque sorte par surprise, en se servant. d'autres moyens que ceux que la constitution lui avait donnés ; croyez-vous que ce spectacle étrange de l’adresse et du savoir-faire, donné publiquement pendant plusieurs années, sur un si vaste théâtre, à toute une nation qui le regarde, croyez-vous qu'un tel spectacle ait été de nature à améliorer les mœurs publiques?(...)

    Je vous disais tout à l'heure que ce mal amènerait tôt ou tard, je ne sais comment, je ne sais d'où elles viendront, mais amènerait tôt ou tard les révolutions les plus graves dans ce pays : soyez-en convaincus.

    Lorsque j'arrive à rechercher dans les différents temps, dans les différentes époques, chez les différents peuples, quelle a été la cause efficace qui a amené la ruine des classes qui gouvernaient, je vois bien tel événement, tel homme, telle cause accidentelle ou superficielle ; mais croyez que la cause réelle, la cause efficace qui fait perdre aux hommes le pouvoir, c'est qu'ils sont devenus indignes de le porter (Nouvelle sensation.)

    Songez, Messieurs, à l'ancienne monarchie; elle était plus forte que vous, plus forte par son origine ; elle s'appuyait mieux que vous sur d'anciens usages, sur de vieilles mœurs, sur d'antiques croyances; elle était plus forte que vous, et cependant elle est tombée dans la poussière. Et pourquoi est-elle tombée? Croyez-vous que ce soit par tel accident particulier? Pensez-vous que ce soit le fait de tel homme, le déficit, le serment du jeu de paume, Lafayette, Mirabeau? Non, Messieurs ; il y a une cause plus profonde et plus vraie, et cette cause c'est que la classe qui gouvernait alors était devenue, par son indifférence, par son égoïsme, par ses vices, incapable et indigne de gouverner. (Très bien! très bien!)

    Voilà la véritable cause.

    Eh! Messieurs, s'il est juste d'avoir cette préoccupation patriotique dans tous les temps, à quel point n'est-il pas plus juste encore de l'avoir dans le nôtre? Est-ce que vous ne ressentez pas, par une sorte d'intuition instinctive qui ne peut pas s'analyser, mais qui est certaine, que le sol tremble de nouveau en Europe? (Mouvement.) Est-ce que vous ne sentez pas... que dirai-je? un vent de révolutions qui est dans l'air ? Ce vent, on ne sait où il naît, d'où il vient, ni croyez-le bien, qui il enlève : et c'est dans de pareils temps que vous restez calmes en présence de la dégradation des mœurs publiques, car le mot n'est pas trop fort.

    Je parle ici sans amertume, je vous parle, je crois, même sans esprit de parti; j'attaque des hommes contre lesquels je n'ai pas de colère; mais enfin je suis obligé de dire à mon pays ce qui est ma conviction profonde et arrêtée. Eh bien! ma conviction profonde et arrêtée, c'est que les mœurs publiques se dégradent, c'est que la dégradation des mœurs publiques vous amènera, dans un temps court, prochain peut-être, à des révolutions nouvelles. Est-ce donc que la vie des rois tient à des fils plus fermes et plus difficiles à briser que celle des autres hommes? Est-ce que vous avez, à l'heure où nous sommes, la certitude d'un lendemain ? Est-ce que vous savez ce qui peut arriver en France d'ici à un an, à un mois, à un jour peut-être? Vous l'ignorez; mais ce que vous savez, c'est que la tempête est à l'horizon, c'est qu'elle marche sur vous ; vous laisserez-vous prévenir par elle? (Interruption au centre.)

    Messieurs, je vous supplie de ne pas le faire; je ne vous le demande pas, je vous en supplie; je me mettrais volontiers à genoux devant vous, tant je crois le danger réel et sérieux, tant je pense que le signaler n'est pas recourir à une vaine forme de rhétorique. Oui, le danger est grand! conjurez-le quand il en est temps encore; corrigez le mal par des moyens efficaces, non en l'attaquant dans ses symptômes, mais en lui-même.

    On a parlé de changements dans la législation. Je suis très porté à croire que ces changements sont non seulement utiles, mais nécessaires : ainsi je crois à l'utilité de la réforme électorale, à l'urgence de la réforme parlementaire; mais je ne suis pas assez insensé, Messieurs, pour ne pas savoir que ce ne sont pas les lois elles-mêmes qui font la destinée des peuples ; non, ce n'est pas le mécanisme des lois qui produit les grands événements de ce monde: ce qui fait les événements, Messieurs, c'est l'esprit même du gouvernement. Gardez les lois si vous voulez; quoique je pense que vous ayez grand tort de le faire, gardez-les; gardez même les hommes, si cela vous fait plaisir, je n'y fais, pour mon compte, aucun obstacle; mais, pour Dieu, changez l'esprit du gouvernement, car, je vous le répète, cet esprit-là vous conduit à l'abîme. (Vive approbation à gauche.)colloque.jpg

    (La droite comme la gauche oublient ou ignorent que de son élection, en 1839, à 1848, Tocqueville a siégé à gauche!)