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Les associations un enjeu capital pour la démocratie

« Dans les pays démocratiques, la science de l'association est la science mère, le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-là. »

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Dans De la Démocratie en Amérique, Tocqueville consacre, en 1835 comme en 1840, de longs développements à la nature et à l’importance des associations aux États-Unis. Il a d’abord été surpris par le nombre considérable d’associations très différentes en nature comme en importance :

« Les Américains de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les esprits, s'unissent sans cesse. Non seulement ils ont des associations commerciales et industrielles auxquelles tous prennent part, mais ils en ont encore de mille autres espèces : de religieuses, de morales, de graves, de futiles, de fort générales et de très particulières, d'immenses et de fort petites ; les Américains s'associent pour donner des fêtes, fonder des séminaires, bâtir des auberges, élever des églises, répandre des livres, envoyer des missionnaires aux antipodes ; ils créent de cette manière des hôpitaux, des prisons, des écoles. S'agit-il enfin de mettre en lumière une vérité ou de développer un sentiment par l'appui d'un grand exemple, ils s'associent. Partout où, à la tête d'une entreprise nouvelle, vous voyez en France le gouvernement et en Angleterre un grand seigneur, comptez que vous apercevrez aux États-Unis une association »[1].

 

[1]De la Démocratie en Amérique, II, 1840, (D.A.II, II, ch. 5.)

Aux États-Unis, les associations sont de toutes tailles et de tous ordres ; dans ses analyses les concernant, Tocqueville considère qu’elles constituent une modalité globale d’appréhension de la vie en société, une unité sociétale, au-delà de leur diversité : associations civiles et politiques, économiques ou industrielles. Aux États-Unis on crée donc des associations pour tout, correspondant à une nécessité immédiate ou durable, appelées à se dissoudre une fois l’objectif déterminé atteint ou à perdurer dans le temps.

L’association constitue donc un modèle spécifique d’appréhension du réel de la vie sociale. Quand un problème se pose à une société, les Américains constituent une association là où, en France, on en appelle, en tous temps, et pour tout, à l’intervention de l’État :

« La première fois que j'ai entendu dire aux États-Unis que cent mille hommes s'étaient engagés publiquement à ne pas faire usage de liqueurs fortes, la chose m'a paru plus plaisante que sérieuse, et je n'ai pas bien vu d'abord pourquoi ces citoyens si tempérants ne se contentaient point de boire de l'eau dans l'intérieur de leur famille.

J'ai fini par comprendre que ces cent mille Américains, effrayés des progrès que faisait autour d'eux l'ivrognerie, avaient voulu accorder à la sobriété leur patronage. Ils avaient agi précisément comme un grand seigneur qui se vêtirait très uniment afin d'inspirer aux simples citoyens le mépris du lu . Il est à croire que si ces cent mille hommes eussent vécu en France, chacun d'eux se serait adressé individuellement au gouvernement, pour le prier de surveiller les cabarets sur toute la surface du royaume »[1].

Pour Tocqueville, l’existence des associations est capitale dans les régimes démocratiques pour sauvegarder la liberté et les droits des individus devant le despotisme que la toute-puissance de l’État exerce, ou risque d’exercer, sur chacun d’eux ; elles constituent également un antidote au repli sur soi qui est le corollaire de l’individualisme démocratique.

Dans un régime aristocratique, les grands disposent d’une puissance individuelle qui les met à l’abri de l’oppression : Les sociétés aristocratiques renferment toujours dans leur sein, au milieu d'une multitude d'individus qui ne peuvent rien par eux-mêmes, un petit nombre de citoyens très puissants et très riches; chacun de ceux-ci peut exécuter à lui seul de grandes entreprises.

Ces sociétés fonctionnent encore sur des rapports hérités du système féodal qui instaurait un lien d’homme à homme, le plus puissant garantissant la sécurité de ses obligés : « Chaque citoyen, riche et puissant, y forme comme la tête d'une association permanente et forcée qui est composée de tous ceux qu'il tient dans sa dépendance et qu'il fait concourir à l'exécution de ses desseins[2] ».

Dans les régimes démocratiques les associations sont à la fois le meilleur remède à l’individualisme démocratique - qui est le plus sûr auxiliaire du despotisme naturel du Tout-État - et la meilleure expression possible du citoyen actif, garant lui aussi des libertés individuelles. En outre les associations multiples et multiformes constituent une quantité d’entités décentralisées permettant de lutter contre la centralisation naturelle du pouvoir démocratique. Elles sont donc un élément essentiel et constitutif de l’équilibre des pouvoirs, qui oppose pouvoir et contre-pouvoirs. Les associations sont l’une des premières garanties de la liberté démocratique ; concentrant les efforts d’esprits différents et divergents vers un seul objectif, elles développent un effet de synergie. Elles doivent permettre aux citoyens d’éviter de tomber sous le joug d’une faction ou d’un despote.

Pour se constituer elles ont besoin de se faire connaître, de préciser à l’opinion publique leurs objectifs. Leur but rejoint pour partie celui de la presse, la liberté de celle-ci et de celles-là sont donc complémentaires, mais la liberté illimitée d’association, en matière politique par exemple, ne se confond pas avec la liberté de la presse. La presse exprime certes l’opinion publique, mais elle entre dans un rapport dialectique avec elle, et en ce sens, elle constitue un pouvoir, alors que l’association s’appuie sur elle-même.

En démocratie, le pouvoir ne doit ni craindre, ni limiter la place et le rôle des associations car elles sont la garantie même de la vie démocratique, même si pour les gouvernants la situation peut être inconfortable à court terme : « dans les pays où les associations sont libres, les sociétés secrètes sont inconnues. En Amérique, il y a des factieux, mais point de conspirateurs[3] ».

Les associations constituent donc, avec la liberté de la presse, l’une des seules garanties contre les dérives de la démocratie ; elles sont l’une des conditions, nécessaire mais non suffisante, de son bon fonctionnement et de l’exercice des libertés dont elles sont elles-mêmes l’expression. En revanche, pour des raisons historiques et pratiques tenant également à l’esprit des peuples, Tocqueville sait qu’en France, le pouvoir verra toujours d’un œil suspicieux l’existence d’une liberté totale des associations, c’est pourquoi il emploie cette formule très forte, à valeur d’impératif catégorique que nous avons placé en exergue de ce texte, et il ajoute :« Parmi les lois qui régissent les sociétés humaines, il y en a une qui semble plus précise et plus claire que toutes les autres. Pour que les hommes restent civilisés ou le deviennent, il faut que parmi eux l'art de s'associer se développe et se perfectionne dans le même rapport que l'égalité des conditions s'accroît[4] ».

Ajoutons pour finir que dans son second Mémoire sur le paupérisme, Tocqueville présente, parmi les éléments potentiels de lutte contre le paupérisme, « les associations industrielles d’ouvriers » qui correspondent exactement à nos SCOPS.

 

 

Vous pouvez retrouver ces deux textes sur les associations dans mon Dictionnaire Tocqueville, Nuvis 2017, p 49-53.

 

Vous pouvez également trouver les deux Mémoires sur le paupérismesur le site UQAC des universités québécoises où je les ai mis en ligne :

 

http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/memoire_pauperisme_1/memoire_pauperisme_1.html

http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/memoire_pauperisme_2/memoire_pauperisme_2.html

 

Vous pourrez y trouver ma réponse aux propos de Michel Onfray dans son livre Tocqueville et les Apaches :

Jean-Louis Benoît, “Réponse à Michel Onfray. Mise au point sur Tocqueville les Indiens et les Noirs, l’Algérie et 1848.” 15 novembre 2017, 46 pp. Blog de Jean-Louis Banoît. Réponse au livre de Michel Onfray, Tocqueville et les Apaches, novembre 2017. Texte téléchargeable !

 

 

 

 

Jean-Louis Benoît

Saint-Aubin-des-Préaux le 15 janvier 2018

 

[1]Id.

[2]Id.

[3]D.A.I, II, ch. 4.

[4]D.A.II, II, ch 5.

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