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villepin

  • A méditer

    En suivant les évènements qui se déroulent aujourd'hui en France, en voyant le sursaut actuel dont j'espère qu'il aura des suites, je repensais à ce texte remarquable dans lequel Tocqueville, à la dernière page de L'Ancien Régime et la Révolution, dit son amour pour sa Nation, si surprenante, si incompréhensible parfois, mais capable des plus grandes choses lorsqu'elle sait remettre au premier plan son amour de la Liberté.tocqueville,obama,de gaulle,l'ancien régime et la révolution,condoleezza rice,dobrinyn,villepin,rafales,la fayette,cuba,phnom pen,vietnam,twin towers an

    À plusieurs reprises, depuis que la Révolution a commencé jusqu'à nos jours, on voit la passion de la liberté s'éteindre, puis renaître, puis s'éteindre encore, et puis encore renaître ; ainsi fera-t-elle longtemps, toujours inexpérimentée et mal réglée, facile à décourager, à effrayer et à vaincre, superficielle et passagère. Pendant ce même temps la passion pour l'égalité occupe toujours le fond des cœurs dont elle s'est emparée la première; elle s'y retient aux sentiments qui nous sont les plus chers; tandis que l'une change sans cesse d'aspect, diminue, grandit, se fortifie, se débilite suivant les événements, l'autre est toujours la même, toujours attachée au même but avec la même ardeur obstinée et souvent aveugle, prête à tout sacrifier à ceux qui lui permettent de se satisfaire, et à fournir au gouvernement qui veut la favoriser et la flatter les habitudes, les idées, les lois dont le despotisme a besoin pour régner.(…)

    Quand je considère cette nation en elle-même, je la trouve plus extraordinaire qu'aucun des événements de son histoire. En a-t-il jamais paru sur la terre une seule qui fût si remplie de contrastes et si extrêmes dans chacun de ses actes, plus conduite par des sensations, moins par des principes ; faisant ainsi toujours plus mal ou mieux qu'on ne s'y attendait, tantôt au-dessous du niveau commun de l'humanité, tantôt fort au-dessus ; un peuple tellement inaltérable dans ses principaux instincts qu'on le reconnaît encore dans des portraits qui ont été faits de lui y il a deux ou trois mille ans, et en même temps tellement mobile dans ses pensées journalières et dans ses goûts qu'il finit par se devenir un spectacle inattendu à lui-même, et demeure souvent aussi surpris que les étrangers à la vue de ce qu'il vient de faire ; le plus casanier et le plus routinier de tous quand on l'abandonne à lui-même, et lorsqu'une fois on l'a arraché malgré lui à son logis et à ses habitudes, prêt à pousser jusqu'au bout du monde et à tout oser ; indocile par tempérament, et s'accommodant mieux toutefois de l'empire arbitraire et même violent d'un prince que du gouvernement régulier et libre des principaux citoyens ; aujourd'hui l'ennemi déclaré de toute obéissance demain mettant a servir une sorte de passion que les nations les mieux douées pour la servitude ne peuvent atteindre ; conduit par un fil tant que personne ne résiste, ingouvernable dès que l'exemple de la résistance est donné quelque part ; trompant toujours ainsi ses maîtres, qui le craignent ou trop ou trop peu ; jamais si libre qu'il faille désespérer de l'asservir, ni si asservi qu'il ne puisse encore briser le joug; apte à tout, mais n'excellant que dans la guerre; adorateur du hasard, de la force, du succès, de l'éclat et du bruit, plus que de la vraie gloire; plus capable d'héroïsme que de Vertu, de génie que de bon sens, propre à concevoir d'immenses desseins plutôt qu'à parachever de grandes entreprises ; la plus brillante et la plus dangereuse des nations de l'Europe, et la mieux faite pour y devenir tour à tour un objet d'admiration, de haine, de pitié, de terreur, mais jamais d'indifférence ?

    Elle seule pouvait donner naissance à une révolution si soudaine, si radicale, si impétueuse dans son cours, et pourtant si pleine de retours, de faits contradictoires et d'exemples contraires. Sans les raisons que j'ai dites, les Français ne l'eussent jamais faite ; mais il faut reconnaître que toutes ces raisons ensemble n'auraient pas réussi pour expliquer une révolution pareille ailleurs qu'en France.

    Me voici parvenu jusqu'au seuil de cette révolution mémorable ; cette fois je n'y entrerai point : bientôt peut-être pourrai-je le faire. Je ne la considérerai plus alors dans ses causes, je l'examinerai en elle-même, et j'oserai enfin juger la société qui en est sortie.

    Nous sommes un pays complexe, singulier, difficile à comprendre, pour/par nous mêmes, et plus encore par beaucoup d'autres, y compris nos amis étatsuniens auxquels Tocqueville l'écrit à maintes reprises, et je repense à de Gaulle raccompagnant Dobrinyn venu menacer de déclencher des attaques nucléaires lors de la crise de Cuba et lui disant : "Eh bien, nous mourrons ensemble!". Je me souviens de son discours de Phnom Pen expliquant l'aberration de la guerre américaine au Vietnam, je repense également à la visite de Chirac aux Etats-Unis, le 18 septembre, une semaine après la destruction des Twin Towers; il était le premier chef d'Etat étranger à aller apporter son soutien au pays pour l'indépendance duquel nous avions combattu avec La Fayette . (à propos, avez-vous vu Obama?)...

    Il faut dire que nous en fûmes remerciés ; après le discours flamboyant de de Villepin à l'ONU, Condoleezza Rice déclara : « Il faut punir la France, ignorer l'Allemagne, et pardonner à la Russie » Et Dieu sait qu'ils ne nous ont pas oubliés, regardez le carnet des ventes de nos Rafales... 

    Maintenant il nous faut tenter de nous montrer à la hauteur de notre sursaut et suivre notre pente, mais comme le disait l'un de nous grands écrivains: "suivre sa pente pourvu que ce soit en montant!"

  • Tocqueville, Hugo, et les deux Empereurs


    Avant de citer deux textes fort intéressants et peu connus de Victor Hugo, il me faut revenir sur un élément capital de notre histoire nationale, et européenne, qui n’est jamais évoqué pour des raisons idéologiques qui sont celles de la vulgate nationaliste du pays mais d’abord de ceux qui en écrivent – ou font écrire - l’Histoire. Marcel Pagnol notait, alors que les manuels de philosophie soulignaient les bienfaits de la colonisation, dans les années 60, que les livres d’histoire sont des manuels d’idéologie.

    Nos hommes politiques et leurs « plumes » continuent de vanter les mérites de nos deux Empereurs : l’Oncle et le Neveu, Napoléon Ier et Napoléon III (je renvoie ici, entre autres, aux textes de Max Gallo, Pierre Nora, Philippe Seguin, Dominique de Vuillepin et tant d’autres…)

    Je voudrais simplement rappeler quelques points.

    Je laisse volontairement ici les affrontements entre la France et l’Angleterre qui prennent leur source dans la possession, par le roi d’Angleterre – vassal du roi de France - d’une quantité de terres et de fiefs (remontant, entre autres à la conquête de l’Angleterre par Guillaume, puis aux alliances et mariages, comme celui d’Aliénor d’Aquitaine) plus importants que ceux de son suzerain…

    On comprend que le vassal ait voulu se confronter au suzerain dans un combat des chefs et des Etats qui devait perdurer, sous des formes variées, bien au-delà de la Guerre de Cent ans.

    Avec l’Allemagne, les faits sont à la fois plus simples et plus durables. La rivalité franco-germanique remonte à la division de l’Empire de Charlemagne à la mort de son fils Louis Le Pieux. L’empire est alors divisé entre les trois fils de ce dernier : Charles le Chauve héritant de ce qui sera – en gros – la France, Louis le Germanique, de ce qui sera l’Allemagne, la plus belle partie du royaume revenant à Lothaire, la Lotharingie, qui s’étend de la mer du Nord (et des Pays-Bas actuels)- jusqu’au Nord de Rome et des terres papales ; la plus belle partie de l’Empire.

    Le 14 février 842, à Strasbourg, Louis le Germanique et Charles le Chauve, petits-fils de l'empereur Charlemagne, se prêtent serment d'assistance mutuelle.

    « Pro deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dist, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit » [« Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir d'aujourd'hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son frère, selon l'équité, à condition qu'il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles. »]

    « In Godes minna ind in thes christianes folches ind unser bedhero gealtnissi, fon thesemo dage frammordes, so fram so mir Got geuuizci indi mahd furgibit, so haldih tesan minan bruodher, soso man mit rehtu sinan bruodher scal, in thiu, thaz er mig sosoma duo ; indi mit Ludheren in nohheiniu thing ne gegango, zhe minan uuillon imo ce scadhen uuerhen » [« Pour l'amour de Dieu et pour le salut peuple chrétien et notre salut à tous deux, à partir de ce jour dorénavant, autant que Dieu m'en donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère, comme on doit selon l'équité secourir son frère, à condition qu'il en fasse autant pour moi, et je n'entrerai avec Lothaire en aucun arrangement qui, de ma volonté, puisse lui être dommageable. »]

    Premier traité international entre la France et l’Allemagne, écrit dans les deux langues, petit chef-d’œuvre d’hypocrisie, les deux frères jurent de se porter assistance si leur frère Lothaire les attaque.En fait ils sont d’accord pour démanteler le royaume de Lothaire et se le partager, comme Russes et Allemands se partageront la Pologne ! Mais évidemment tout ceci pose, et posera, pendant 1103 années (842-1945), des problèmes de frontières. Les Guerres d’Italie ne sont rien d’autre que l’affrontement de la France et du Saint Empire Romain Germanique. François Ier s’affronte à Charles Quint dont le royaume va des Flandres au Sud de l’Espagne, sans oublier les possessions ultramarines. Louis XIV ruine la France pour fixer ses frontières orientales et s’assuer la possession des Trois évêchés…

    La Révolution française jouit d’abord de la sympathie des provinces rhénanes, avant de se discréditer par les combats incessants, les pillages, les exactions des guerres du Consulat et de l’Empire.

    A partir des années 1840-1845, Tocqueville comprend que le problème de la paix et de l’équilibre en Europe repose, à la suite du traité de Vienne, sur l’équilibre des quatre grandes nations : la France, l’Angleterre, la Russie et l’Allemagne qui doit se réunifier. Telle est, dès lors, son idée majeure.

    Une fois de plus, son « esprit de finesse » lui permet de comprendre et d’écrire que toute alliance de la France et de l’Angleterre ou/et la Russie, conduira à des affrontements considérables en Europe.

    Dans les années 1857-1858, il écrit à son neveu Hubert, attaché d’Ambassade, à Vienne puis à Berlin, que par les guerres de là Révolution et de l’Empire, nous avons fait de nos alliés naturels nos pires ennemis !

    Il apprend l’allemand, correspond avec l’élite intellectuelle, lit les journaux allemands, voyage dans le pays, fait un séjour à Bonn !

    On connaît la suite ! Le « Neveu » multiplia les aventures militaires inutiles, stupides et criminelles…jusqu’au Mexique, et acheva la sinistre entreprise de l’Oncle.

    La guerre de 70 amena la sinistre boucherie de la première guerre mondiale ! Malgré toute la propagande la plus infâme, ceux qui sont revenus disaient à leurs petits-enfants, dont je faisais partie : « c’étaient des hommes comme nous… », même si des officines, comme l’Académie des Sciences faisaient des rapports prouvant que l’urine des soldats allemands était plus forte que la bonne urine, fine et naturelle des soldats français. Bref les Allemands étaient des bêtes sauvages, ces Widschweinen, ces sangliers de Rhénanie : pour se donner le droit de tuer un être humain, il faut d’abord le déshumaniser, l’animaliser, comme plus tard Hitler, puis ensuite la radio des collines…

    Bref, Tocqueville, comme Cassandre, fut condamné à ne pas être entendu.

    Après la première guerre mondiale, la seconde, et le déclin de l’Europe.

    Ce qui me choque le plus c’est que son discours d’alors demeure, aujourd’hui encore inaudible, mieux – c’est-à-dire pire – le fait que ces différents éléments que j’ai signalés dans mes travaux, avec les références précises, continuent d’être ignorés, passés sous silence.

     

    A vrai dire, je commence à en avoir l’habitude, comme je le signalais au symposium de la Liberty Fund, en septembre dernier, en faisant l’analyse du dernier chapitre X de la première Démocratie en Amérique, dans lequel Tocqueville explique et dénonce le fait que la remarquable démocratie américaine se soit instaurée par un double crime contre l’humanité. Il est le premier à employer cette expression !

    Voici donc deux textes de Victor Hugo, tirés du même roman, dans lesquels il explique que Louis-Napoléon n’était pas un Bonaparte, ce qui, d’une certaine façon, le dédouane, à ses propres yeux, d’avoir soutenu Napoléon « Le Petit » qui n’était qu’un bâtard…

    Oh la faiblesse des grands hommes qui ne veulent pas voir leur image ternie….

     

     

     

    « Quoi qu'il en soit, le parti légitimiste, considéré dans son ensemble, n'avait pas l'horreur du coup d'Etat. Il ne craignait rien. Au fait, les royalistes craindre Louis Bonaparte ? Pourquoi?

    On ne craint pas l'indifférence. Louis Bonaparte  était un indifférent. Il ne connaissait qu'une chose, son but broyer la route pour y arriver, c'était tout simple; laisser le reste tranquille. Toute sa politique était là. Écraser les républicains, dédaigner les royalistes.

    Louis Bonaparte n avait aucune passion. Celui qui écrit ces lignes, causant un jour de Louis Bonaparte avec l'ancien roi de Westphalie, disait :

    - En lui, le hollandais calme le corse.

    - Si Corse il y- a, répondit Jérôme.

    Louis Bonaparte n'a jamais été qu'un homme qui guette le hasard ; espion tâchant de duper Dieu. Il avait la rêverie livide du joueur qui triche. La tricherie admet l’audace et exclut la colère. Dans sa prison de Ham, il ne lisait qu'un livre, le Prince. Il n’avait pas de famille, pouvant hésiter entre Bonaparte et Werhuell ;il n’avait pas de patrie, pouvant hésiter entre la France et le Hollande ».

    (Victor Hugo, Œuvres Complètes, I, p. 135-136, J. Hetzel & Cie A. Quantin, Paris 1883).

     

    Dans le volume suivant, Hugo rapporte une conversion qui avait eu lieu en 1840, avec Vieillard et quelques autres. Vieillard, député de la Manche, avait été le précepteur de Louis-Napoléon Bonaparte. Tocqueville le connaissait bien. Après le coup d’Etat de 1851, qui avait valu à Tocqueville d’être emprisonné, Vieillard était venu lui présenter les excuses de Louis-Napoléon tentant, vainement, de le rallier à sa cause.

    Tocqueville écrit dans une lettre comment il assista aux funérailles de Vieillard et « montra son derrière » à tous les ralliés à l’Empire qui auraient voulu lui serrer la main…

    Voici ce qu’écrit Hugo à propos du retour de la reine Hortense revenue près de son époux afin qu’il accepte une paternité qui, aux yeux de beaucoup n’était pas la sienne. La thèse est que Louis-Napoléon n’est pas un Bonaparte, mais le fruit des amours illégitimes de la reine Hortense, le père putatif pouvant être Werhuell :

     

    « Disons-en quelques mots.

    Il y avait Vieillard le précepteur, athée de la nuance catholique, bon joueur de billard.

    Vieillard était un narrateur. Il racontait en souriant ceci : Vers la fin de 1807, la reine Hortense qui habi­tait volontiers Paris, écrivit au roi Louis qu'elle ne pou­vait être plus longtemps sans le voir, qu'elle ne pouvait se passer de lui, et qu'elle allait arriver à la Haye. Le roi dit « Elle est grosse ». Il fit venir son ministre Van Maanen, lui montra la lettre de la reine, et ajouta

    tt Elle va arriver. C'est bien. Nos deux chambres com­muniquent par une porte ; la reine la trouvera murée. »

    Louis prenait son manteau royal au sérieux, car il s'écria ; « Le manteau d'un roi ne sera pas la couver­ture d'une catin. » Le ministre Van Maanen, terrifié, manda la chose à l'empereur. L'empereur se mit en colère, non contre Hortense, mais contre Louis. No­nobstant Louis tint bon; la porte ne fut pas murée, mais sa majesté la fut ; et, quand la reine vint, il lui tourna le dos. Cela n'empêcha pas Napoléon IlI de naître.

    Un nombre convenable de coups de canon salua cette naissance.Telle était l'histoire que, dans l'été de1840,  à Saínt­-Leu-Taverny, dans la maison dite la Terrasse, devant témoins, dont était Ferdinand B., marquis de la L.,camarade d'enfance de l'auteur de ce livre, racontait
    M. Vieillard, bonapartiste ironique, dévoué sceptique.
    Outre Vieillard, il y avait Vaudrey, que Louis Bona­parte fit général en même temps qu'Espinasse..
    . »

    (Victor Hugo, Œuvres Complètes, II, p. 27, J. Hetzel & Cie A. Quantin, Paris 1883).

     

    Mais d’autres proches, familiers et intimes de la reine Hortense pouvaient également être des pères putatifs, par exemple un certain Moquart, dont Hugo écrit à la page suivante :

    « Il y avait [à la même réunion de 1840] Mocquart, ancien joli homme à la cour de Hollande. Mocquart avait des romances dans ses souvenirs. Il pouvait, par l’âge, et peut-être autrement être le père de Louis Bonaparte »

    A l’époque, l’idée est répandue et assez généralement admise, y compris dans l’entourage direct de Louis-Napoléon auquel son oncle Jérôme dit un jour :

    « Vous n'avez rien de Napoléon!" et Napoléon III de répondre: "Hélas, si! J'ai sa famille!".

    « Plusieurs indices donnent à penser, a-t-on écrit, que Napoléon III n'était pas un Bonaparte. Il fut conçu à Cauterets en juillet 1807, à un moment où la reine Hortense était séparée de son mari. Parmi ses nombreux amants, les pères putatifs les plus souvent cités sont l'amiral néerlandais Charles-Henri Verhuell, ministre de la marine du roi Louis et Adam de Bylandt-Hastelcamps, l'écuyer d'Hortense ».

     

     

    La filiation douteuse de Napoléon III est évidemment, pour nous, sans grande importance ; mais la filiation officielle supposée joua un rôle de premier plan dans notre histoire nationale ; c’est bien grâce au nom de Bonaparte qu’il put être élu en 1848 et devenir le premier président de la république française. C’est ce nom encore qui le poussa, comploteur né, compassionnel et compulsionnel à faire acte de forfaiture en renversant par un coup d’Etat militaire, cette République dont il était le gardien des institutions.

    Mais le problème qui se pose à nous ici est de savoir pourquoi Hugo est si attaché à livrer en pâture à ses lecteurs un fait divers relevant de l’alcôve et des amours illégitimes ?

    Tout simplement pour se disculper au nom de la défense de l’Ego du Grand Hugo.

    Il entend par là gommer le fait qu’il a fut l’un des promoteurs les plus actifs du retour et de la prise du pouvoir de la Présidence par Louis-Napoléon, qu’il le soutint activement au moins jusqu’au début de 1851, espérant devenir ministre de l’instruction publique. Ce n’est qu’en septembre 1851, quand le coup d’Etat est quasiment certain qu’il écrit dans Choses Vues que la République a été trahie et que désormais il combat pour elle : « Républicains, ouvrez vos rangs. Je suis des vôtres !» (Choses vues 1849-1885, Folio/Gallimard 1972, p. 266)

    En outre, lors du coup d’Etat, alors que plus de deux cents parlementaires prennent de véritables risques en destituant le président pour forfaiture, Hugo est absent, il craint pour sa vie, mais risquait-il vraiment plus que les autres ? Le nouveau pouvoir aurait-il pu prendre le rsique de fusiller Hugo, il est permis d’en douter.

    L’Histoire d’un crime est donc un ouvrage très intéressant, témoignage historique et pamphlet, mais également plaidoyer pro domo.

    Hugo entend donc prouver à son lecteur qu’il a été victime d’une tromperie sur la marchandise, qu’il croyait défendre la cause d’un Bonaparte alors qu’il avait affaire à un bâtard imposteur, mais les données chronologiques dont il a fait état prouvent à l’évidence que l’argument ne tient pas puisque la discussion de 1840 qu’il rapporte prouve que dès cette époque il savait que la filiation bonapartiste de Louis-Napoléon n’était guère fiable, filiation d’opéra-bouffe, Offenbach sera le meilleur illustrateur de la nature et des mœurs du Second Empire !

    Reste une dernière question : pourquoi un et livre, fort intéressant par les témoignages historiques – dont il convient de faire la critique interne et externe - est-il totalement absent de/dans notre histoire littéraire ?

    Je n’ai appris son existence qu’en travaillant sur Tocqueville et en lisant la biographie d’André Jardin ?

    La réponse est d’une simplicité idéologique désespérante. Tocqueville l’a déjà écrit : les Français sont désespérément marqués par le bonapartisme et le césarisme, comme le souligne très justement, après Tocqueville, Melvin Richter.

    Aujourd’hui encore, nos hommes politiques et leurs plumitifs de service, multiplient les considérations, les éloges et les textes sur l’Oncle et le « Neveu », tout en se présentant comme des républicains authentiques, persuadés d’être, en outre, des démocrates.