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  • Au chevet de la Grèce

    Aux bons soins des docteurs Fmi et Troïka

    Je me rappelle, comme dirait Pérec, le moment où DSK, directeur du FMI, disait que le plus simple et le plus économique serait / aurait été, à l'époque,  d'annuler la dette de la Grèce, nous étions en 2010-2011. ça aurait coûté combien? Bien moins, si mes souvenirs sont exacts, que les remises partielles ultérieures aujourd'hui évaporées et la dette toujours croissant comme le cadavre dans la pièce de Ionesco.

    Mais depuis lors, la médecine du FMi  et des instances internationales est exactement celle des médecins de Molière et me fait toujours penser à ce passage délicieux de Dom Juan:

    grèce,économie,fmi,dsk,molière,dom juan,sganarelle,troïkaSGANARELLE - Ma foi, Monsieur, avouez que j'ai eu raison, et que nous voilà l'un et l'autre déguisés à merveille. Votre premier dessein  n'était point du tout à propos, et ceci nous cache bien mieux que tout ce que vous vouliez faire.

     

    DOM JUAN - Il est vrai que te voilà bien, et je ne sais où tu as été déterrer cet attirail ridicule. 

     

    SGANARELLE - Oui? C'est l'habit d'un vieux médecin, qui a été laissé en gage au lieu où je l'ai pris, et il m'en a coûté de l'argent pour l'avoir. Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met déjà en considération, que je suis salué des gens que je rencontre, et que l'on me vient consulter ainsi qu'un habile homme?

     

    DOM JUAN - Comment donc?

     

      SGANARELLE - Cinq ou six paysans et paysannes, en me voyant passer, me sont venus demander mon avis sur différentes maladies. 

     

    DOM JUAN - Tu leur as répondu que tu n'y entendais rien? 

     

    SGANARELLE - Moi? Point du tout. J'ai voulu soutenirl'honneur de mon habit: j'ai raisonné sur le mal, et leur ai fait des ordonnances à chacun. 

     

    DOM JUAN - Et quels remèdes encore leur as tu ordonnés?

     

    SGANARELLE - Ma foi! Monsieur, j'en ai pris par où j'en ai pu attraper; j'ai fait mes ordonnances à l'aventure, et ce serait une chose plaisante si les malades guérissaient, et qu'on m'en vînt remercier.

     

    DOM JUAN - Et pourquoi non? Par quelle raison n'aurais-tu pas les mêmes privilèges qu'ont tous les autres médecins? Ils n'ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard et des forces de la nature.

     

    SGANARELLE - Comment, Monsieur, vous êtes aussi impie en médecine / économie ? 

     

    DOM JUAN - C'est une des grandes erreurs qui soit parmi les hommes.

     

    SGANARELLE - Quoi? vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin de l'émétique? 

     

    DOM JUAN - Et pourquoi veux-tu que j'y croie? 

     

    SGANARELLE - Vous avez l'âme bien mécréante. Cependant vous voyez, depuis un temps, que le vin émétique fait bruire ses fuseaux, ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n'y a pas trois semaines que j'en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux.

     

    DOM JUAN - Et quel? 

     

    SGANARELLE - il y avait un homme qui, depuis six jours,  était à l'agonie; on ne savait plus que lui ordonner, et tous les remèdes ne faisaient rien; on s'avisa à la fin de lui donner de l'émétique. 

     

    DOM JUAN - Il réchappa, n'est-ce pas? 

     

    SGANARELLE - Non, il mourut. 

     

    DOM JUAN - L'effet est admirable. 

     

    SGANARELLE Comment? Il y avait six jours entiers qu'il ne pouvait mourir, et cela le fit mourir tout d'un coup. Voulez-vous rien de plus efficace?grèce,économie,fmi,dsk,molière,dom juan,sganarelle,troïka

     

  • On devrait nous éviter cela!

    Cornichon, Bachi-Bouzouk, Moule à gaufres, marchand de Guano... évidemment toutes ces étiquettes ne peuvent convenir à notre brillant ministre....

    Ce ne fut pas une surprise, après les élections grecques, on a vu réapparaître sur les écrans le visage de Moscovici.

    Les résultats (...) du personnage depuis le temps où il était ministre des affaires européennes (lors du vote catastrophique passé sous l'égide des duettistes Chirac et Jospin), son dernier passage au ministère de l'économie, degré zéro de la pratique, devrait nous dispenser de le revoir; barbu ou non, impropre à tout.moscovici,marchand de guano,moule à gaufres,cornichon,commission européenne

    Aurea mediocritas qui permet à ceux  qui ont tout raté de trouver une place dans la commission européenne ! Il faut vraiment que ce soit une grosse commission pour permettre de tels recyclages !

  • A méditer

    En suivant les évènements qui se déroulent aujourd'hui en France, en voyant le sursaut actuel dont j'espère qu'il aura des suites, je repensais à ce texte remarquable dans lequel Tocqueville, à la dernière page de L'Ancien Régime et la Révolution, dit son amour pour sa Nation, si surprenante, si incompréhensible parfois, mais capable des plus grandes choses lorsqu'elle sait remettre au premier plan son amour de la Liberté.tocqueville,obama,de gaulle,l'ancien régime et la révolution,condoleezza rice,dobrinyn,villepin,rafales,la fayette,cuba,phnom pen,vietnam,twin towers an

    À plusieurs reprises, depuis que la Révolution a commencé jusqu'à nos jours, on voit la passion de la liberté s'éteindre, puis renaître, puis s'éteindre encore, et puis encore renaître ; ainsi fera-t-elle longtemps, toujours inexpérimentée et mal réglée, facile à décourager, à effrayer et à vaincre, superficielle et passagère. Pendant ce même temps la passion pour l'égalité occupe toujours le fond des cœurs dont elle s'est emparée la première; elle s'y retient aux sentiments qui nous sont les plus chers; tandis que l'une change sans cesse d'aspect, diminue, grandit, se fortifie, se débilite suivant les événements, l'autre est toujours la même, toujours attachée au même but avec la même ardeur obstinée et souvent aveugle, prête à tout sacrifier à ceux qui lui permettent de se satisfaire, et à fournir au gouvernement qui veut la favoriser et la flatter les habitudes, les idées, les lois dont le despotisme a besoin pour régner.(…)

    Quand je considère cette nation en elle-même, je la trouve plus extraordinaire qu'aucun des événements de son histoire. En a-t-il jamais paru sur la terre une seule qui fût si remplie de contrastes et si extrêmes dans chacun de ses actes, plus conduite par des sensations, moins par des principes ; faisant ainsi toujours plus mal ou mieux qu'on ne s'y attendait, tantôt au-dessous du niveau commun de l'humanité, tantôt fort au-dessus ; un peuple tellement inaltérable dans ses principaux instincts qu'on le reconnaît encore dans des portraits qui ont été faits de lui y il a deux ou trois mille ans, et en même temps tellement mobile dans ses pensées journalières et dans ses goûts qu'il finit par se devenir un spectacle inattendu à lui-même, et demeure souvent aussi surpris que les étrangers à la vue de ce qu'il vient de faire ; le plus casanier et le plus routinier de tous quand on l'abandonne à lui-même, et lorsqu'une fois on l'a arraché malgré lui à son logis et à ses habitudes, prêt à pousser jusqu'au bout du monde et à tout oser ; indocile par tempérament, et s'accommodant mieux toutefois de l'empire arbitraire et même violent d'un prince que du gouvernement régulier et libre des principaux citoyens ; aujourd'hui l'ennemi déclaré de toute obéissance demain mettant a servir une sorte de passion que les nations les mieux douées pour la servitude ne peuvent atteindre ; conduit par un fil tant que personne ne résiste, ingouvernable dès que l'exemple de la résistance est donné quelque part ; trompant toujours ainsi ses maîtres, qui le craignent ou trop ou trop peu ; jamais si libre qu'il faille désespérer de l'asservir, ni si asservi qu'il ne puisse encore briser le joug; apte à tout, mais n'excellant que dans la guerre; adorateur du hasard, de la force, du succès, de l'éclat et du bruit, plus que de la vraie gloire; plus capable d'héroïsme que de Vertu, de génie que de bon sens, propre à concevoir d'immenses desseins plutôt qu'à parachever de grandes entreprises ; la plus brillante et la plus dangereuse des nations de l'Europe, et la mieux faite pour y devenir tour à tour un objet d'admiration, de haine, de pitié, de terreur, mais jamais d'indifférence ?

    Elle seule pouvait donner naissance à une révolution si soudaine, si radicale, si impétueuse dans son cours, et pourtant si pleine de retours, de faits contradictoires et d'exemples contraires. Sans les raisons que j'ai dites, les Français ne l'eussent jamais faite ; mais il faut reconnaître que toutes ces raisons ensemble n'auraient pas réussi pour expliquer une révolution pareille ailleurs qu'en France.

    Me voici parvenu jusqu'au seuil de cette révolution mémorable ; cette fois je n'y entrerai point : bientôt peut-être pourrai-je le faire. Je ne la considérerai plus alors dans ses causes, je l'examinerai en elle-même, et j'oserai enfin juger la société qui en est sortie.

    Nous sommes un pays complexe, singulier, difficile à comprendre, pour/par nous mêmes, et plus encore par beaucoup d'autres, y compris nos amis étatsuniens auxquels Tocqueville l'écrit à maintes reprises, et je repense à de Gaulle raccompagnant Dobrinyn venu menacer de déclencher des attaques nucléaires lors de la crise de Cuba et lui disant : "Eh bien, nous mourrons ensemble!". Je me souviens de son discours de Phnom Pen expliquant l'aberration de la guerre américaine au Vietnam, je repense également à la visite de Chirac aux Etats-Unis, le 18 septembre, une semaine après la destruction des Twin Towers; il était le premier chef d'Etat étranger à aller apporter son soutien au pays pour l'indépendance duquel nous avions combattu avec La Fayette . (à propos, avez-vous vu Obama?)...

    Il faut dire que nous en fûmes remerciés ; après le discours flamboyant de de Villepin à l'ONU, Condoleezza Rice déclara : « Il faut punir la France, ignorer l'Allemagne, et pardonner à la Russie » Et Dieu sait qu'ils ne nous ont pas oubliés, regardez le carnet des ventes de nos Rafales... 

    Maintenant il nous faut tenter de nous montrer à la hauteur de notre sursaut et suivre notre pente, mais comme le disait l'un de nous grands écrivains: "suivre sa pente pourvu que ce soit en montant!"

  • Que ce sursaut ne soit pas qu'un début

    Les attentats criminels qui viennent de se dérouler nous interpellent et font réagir la Nation.

    Depuis quarante ans les "élites" autoproclamées ont laissé s’installer un déclin généralisé par manque de courage politique : « tout va bien » « tout ne va pas si mal » « les fondamentaux sont bons »…

    Pendant les quarante années où j’ai enseigné j’ai vu les «(ir)responsables » nous contraindre à admettre l’inadmissible, par lâcheté ... et d’abandon en abandon on en arrive à des situations ingérables.

    Mais on a vu aussi la France de désindustrialiser de façon dramatique, les campagnes se vider, alors que le mot d’ordre des "élites" était finalement : « prends l’oseille et tire toi »  - dirigeants de grandes entreprises privées ou publiques, titulaires de comptes dans les paradis fiscaux… La liste serait trop longue...

     Nous avons touché le fond, nos valeurs ont abandonnées, sacrifiées.

    Jeannette Boughrab, fille de harki, ces hommes vis-à-vis desquels la France s’est si mal comportée, compagne de Charb a crié sa révolte, une révolte prémonitoire, voici des mois; il faut l'écouter, la lire!

    Capture d’écran 2015-01-11 à 17.12.54.png"J'ai peur que cette France ne soit bientôt plus la France. Je suis tétanisée à l'idée que, demain, je pourrais ne plus être libre de penser, de dire ce que je veux, de blasphémer.» Ne supportant plus le «politiquement correct» des élites qui répètent que «tout va bien», elle redoute «la première conséquence de cet aveuglement, de ce déni de la réalité» : «L'installation définitive des partis extrêmes en France

     

     

    La France a déjà connu dans son histoire maints moments de déclin et de honte; elle a su également le relever. Faisons en sorte que ce soit encore le cas. L'ampleur de la manifestation qui se déroule nous invite à espérer. 

    La réaction aux crimes qui viennent de se dérouler constitue un gigantesque mouvement de ressaisissement. Comment faire pour que ce ne soit pas qu’un feu de paille, comment faire pour reconstruire un nouveau contrat social, une Nouvelle Société, plus juste, qui puisse exclure de son sein toutes les formes putrides qui tuent le corps social.

     Ce qui arrive n’est pas un accident, mais une conséquence, le résultat de dérives multiples qui forment une masse critique qui engendre ces explosions de haine.

    La Nation, l’Etat, le Peuple, ne sont pas responsables de tout. Le problème est international et certaines dimensions nous échappent, mais nous sommes responsables de la défense de nos valeurs. Ces valeurs des Lumières qui sont, disait Tocqueville, la reprise laïcisée des valeurs du christianislme originel.

    La Nation se relève, se redresse, qu’elle porte bien haut ses exigences vis-à-vis d’elle-même, vis-à-vis de ses membres et qu’elle n’accepte plus, que nous n’acceptions plus l'inacceptable.

    On peut en profiter pour relire et tirer la substantifique moelle de la fin du discours de Tocqueville demandant le 30 mai 1845, l’abolition totale et immédiate de l’esclavage rappelant comment la France connaissait ce grands moments d’alternance, ces moments de faiblesse pendant lesquels elle perd ses valeurs , cette France qui fait soumission (beau programme !!) et ceux où elle se relève et déclare que ses valeurs ne sont pas négociables :

           colloque.jpg                                                 

    Et remarquez-le, Messieurs, non seulement l'abolition de l'esclavage, l'idée de l'abolition de l'esclavage, cette grande et sainte idée est sortie du fond même de l'esprit moderne français ; mais bien plus, vous la voyez se saisir plus ou moins de l'esprit de la nation, suivant que la nation elle-même sent plus ou moins raviver ou s'éteindre dans son cœur les grands principes de la Révolution.     .           .

    Ainsi, en 1789, par exemple, au même moment où la liberté se fonde en France, on demande la liberté pour les esclaves des colonies.

    En 1800, au contraire, lorsque la liberté expire en France, on replonge les esclaves dans les fers aux colonies.   

    La Restauration arrive. Le Gouvernement a le malheur de se montrer hostile aux principes de la Révolution, il s'unit intimement aux maîtres d'esclaves. Mais l'opinion libérale, l'opinion    qui a fait la Révolution de Juillet, l'opinion qui vous a faits  ce que vous êtes, prend le parti des Noirs à mesure que les idées libérales gagnent du terrain en France, les idées qui doivent ramener la liberté aux esclaves des colonies se développent.

    La Révolution de Juillet a lieu, et aussitôt la traite cesse, les hommes de couleur arrivent à l'indépendance.       

    Ainsi, non seulement cette grande idée que je cherche  si incomplètement, je le sens, à défendre à cette tribune, dont je ne suis en ce moment que le faible champion, mais qui sera, j'ose le dire, toujours plus grande que celui, quel qu'il soit, qui parlera d'elle ; cette grande idée n'est pas seulement votre propriété, elle n'est pas seulement parmi les idées mères de votre Révolution, mais elle vit ou elle meurt dans vos cœurs, suivant qu'on y voit vivre ou renaître tous les sentiments élevés, tous les nobles instincts que votre Révolution a développés, ces nobles instincts par lesquels vous avez fait tout ce que vous avez accompli de grand dans le monde, et sans lesquels, je ne crains pas de le dire, vous ne ferez rien et vous ne serez rien.

      Vous pouvez, grâce à ce lien, écouter l'entretien avec Abdelawab Meddeb à propos de mon livre: "Tocqueville, notes sur le Coran et autres textes sur les religions" dont le texte est mis en ligne sur le site des univesrités quebécoises (www.uqac....)

  • A propos de l'émission d'Enthoven sur Tocqueville

    Tocqueville n'était pas athée mais agnostique

    Il est toujours intéressant d’écouter une émission consacrée à Tocqueville, elles ne sont pas si nombreuses et Raphaël Enthoven est celui qui a fait le plus en la matière. Dans chacune il prend soin de préciser que Tocqueville n’était pas cartésien bien qu’il connût les textes de l’auteur du Discours de la Méthode auquel il fait allusion dans la seconde Démocratie par le biais du pragmatisme cartésien des Américains.

    Le fait est tellement avéré, la problématique de l’un et celle de l’autre étant effectivement irréductibles, la rupture des Lumières et de la Révolution et le surgissement démocratique faisant apparaître deux visions du monde si étrangères l’une à l’autre que le rappel de l’hétérogénéité des deux approches philosophiques est sans doute superflu.

    Enthoven est bien inspiré de souligner la relation étroite liant le milieu familial de Tocqueville sa vie et sa pensée ; et il faudrait ajouter à son action, pensée et action étant chez lui inséparables. Itinéraire platonicien de la sphère des idées  au monde sublunaire, de l’analyse du surgissement inéluctable de la démocratie au combat politique pour l’instauration d’une République équilibrée. Tout ceci  a fait de sa vie, on le verra bientôt dans un livre à paraître en février prochain, un véritable roman.

    Dans son émission, Raphaël Enthoven prend appui, à juste titre, sur des données biographiques mais il devrait veiller à plus d’exactitude.

    Contrairement à ce qu’il affirme, Hervé de Tocqueville, père d’Alexis, n’a pu voter l’abolition des privilèges… Il eût fallu qu’il appartînt au corps des représentants de la noblesse le 4 août 1789 ; ce n’est pas le cas, il n’avait alors que dix-sept ans, depuis la veille !

    Il affirme également, et cette fois à juste titre, qu’il est important de considérer les rapports de Tocqueville avec la religion. Celui-ci considérant que le doute est l’un des pires maux pour l’individu comme pour la société affirme dans la seconde Démocratie (1840) : « Pour moi, je doute que l’homme puisse jamais supporter à la fois une complète indépendance religieuse et une entière liberté politique ; et je suis porté à penser que, s’il n’a pas de foi, il faut qu’il serve, et, s’il est libre, qu’il croie... Je ne sais cependant si cette grande utilité des religions n’est pas plus visible encore chez les peuples où les conditions sont égales, que chez tous les autres.»

    Raphaël Enthoven cite à l’appui de son argumentation la lettre qu’Alexis adressa le 26 février 1857, à Mme de Swetchine, une émigrée russe de grande qualité, convertie au catholicisme et qui faisait un peu office de directeur de conscience dans un milieu spiritualiste parisien. Les deux correspondants n’avaient plus qu’un an à vivre, pour l’une, deux pour l’autre. Dans cette lettre Alexis fait un aveu unique, jamais il n’a dit à personne comment plus de trente-cinq ans auparavant, en 1821, il avait alors seize ans, un doute absolu s’est emparé de lui. Il a connu alors une crise existentielle qui ne l’a jamais vraiment quitté depuis. Il a perdu alors la foi de son enfance, perte irréparable et jamais comblée, même à la veille de sa mort.

    Mais Raphaël Enthoven ajoute que « les descendants d’Alexis ont voulu faire disparaître » cette lettre.Capture d’écran 2015-01-06 à 16.15.35.png

    Affirmation entièrement fausse.

    Tocqueville et sa femme n’ont pas eu d’enfants, la seule descendance familiale  est celle d’Edouard, son frère, c’est à dire ses neveux, petits-neveux et arrière petits neveux… Qui ont ouvert très largement la correspondance et les documents d’Alexis rendus entièrement accessibles au public aujourd’hui, ce dont il faut les remercier vivement car c’est loin d’être toujours le cas.

    Capture d’écran 2015-01-06 à 17.00.54.pngQuant à l’existence de la lettre d’Alexis à Mme de Swetchine, elle n’était connue que par Marie, femme d’Alexis, Falloux, Gustave de Beaumont, son collègue et ami intime, et la femme de celui-ci, Clémentine, La petite fille de La Fayette. Tous voulaient conserver ce document d’une importance capitale, sauf Marie, qui préparait avec Beaumont la première édition des œuvres complètes et exigea la destruction du document afin de préserver l’image d’Alexis qu’elle entendait faire passer à la postérité. Il fallut s’exécuter, heureusement, Clémentine de Beaumont avait fait, manifestement sans rien en dire, une copie de cette lettre que Rédier découvrit dans ses archives et révéla en 1926.

    A partir du texte de cette lettre, Rafael Enthoven affirme que Tocqueville ne croyait plus en Dieu, qu’il était athée, même si le mot ne figure pas/plus dans le podcast de l’émission. Une fois encore, l’affirmation n’est pas conforme à ce que nous apprend la biographie de Tocqueville.

    Certes il a perdu la foi de son enfance, certes il n’admet plus le contenu des dogmes, au premier rang desquels celui du péché originel. Il l’écrit à l’abbé Lesueur, son vieux précepteur lorsqu’il a appris qu’Alexis n’a pas fait ses Pâques : Je crois ; mais je ne puis pratiquer, la phrase a horrifié son vieil ami, il le lui dit dans sa réponse, le 8 septembre 1824.

    Capture d’écran 2015-01-06 à 16.39.06.pngAlexis a perdu la foi de son enfance, le doute ne le quitte pas, il est essentiellement agnostique, au sens premier du mot, mais être agnostique ce n’est pas être athée. Tocqueville affirme toujours, sans exception aucune, être assuré de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme, mais la nature même de ces éléments est de l’ordre du mystère et demeure totalement insondable ; l’homme n’en peut rien connaître, nul ne peut voir le visage de Dieu sans mourir.

    Le croyant possède l’assurance de sa foi et de son contenu, celui qui n’a pas la foi demeure dans un doute insondable. Telle est l’expérience existentielle de Tocqueville depuis ses seize ans jusqu’à la veille de sa mort. En 1843, il écrit à Gobineau : « Je ne suis pas croyant (ce que je suis loin de dire pour me vanter) mais tout incroyant que je sois, je n’ai jamais pu me défendre d’une émotion profonde en lisant l’Évangile". 

     

     

    Capture d’écran 2015-01-06 à 16.11.19.png Tocqueville n’est pas croyant dans la mesure où le Credo lui échappe ; mais pourtant, parlant du catholicisme, il dit : « la religion que je professe », mais c’est là une vérité sociale, sociologique : vivre et mourir dans la religion dans laquelle j’ai été élevé !...

    Mais son ami Corcelle, ancien Carbonaro, néo converti, voit plutôt en lui un protestant, et ce qui n’est pas pour lui un compliment ; Morichini, légat du pape, fait de même !

    En fait, Tocqueville est plus chrétien, admirateur du christianisme originel, que catholique.  Ses textes de références sont ceux des Béatitudes et l’épître aux Galates qui « inventent », avant les Lumières, les valeurs d’humanité, d’égalité et d’universalisme : le christianisme est le grand fond de la morale moderne, il opère un renversement des valeurs. Les Lumières n’ont fait qu’opérer une reprise laïcisée des valeurs d’universalité et d’humanité mises en place par le christianisme originel :

    « Il fallut que Jésus-Christ vînt sur la terre pour faire comprendre que tous les membres de l'espèce humaine étaient naturellement semblables et égaux. » (Seconde Démocratie, I, ch. 3)

    Il écrit à Gobineau le 5 septembre 1843 : « Le christianisme me paraît avoir fait une révolution ou, si vous l’aimez mieux, un changement très considérable dans les idées relatives aux devoirs et aux droits, idées qui sont, en définitive, la matière de toute science morale.

    Le christianisme ne créa pas précisément des devoirs nouveaux ou en d’autres termes des vertus entièrement nouvelles ; mais il changea la position relative qu’occupaient entre elles les vertus. Les vertus rudes et à moitié sauvages étaient en tête de la liste ; il les plaça à la fin. Les vertus douces, telles que l’humanité, la pitié, l’indulgence, l’oubli même des injures, étaient des dernières ; il les plaça avant toutes les autres. Premier changement.

    Le champ des devoirs était limité. Il l’étendit. Il n’allait guère plus loin que les concitoyens. Il y fit entrer tous les hommes. Il renfermait principalement les maîtres ; il y introduisit les esclaves. Il mit dans un jour éclatant l’égalité, l’unité, la fraternité humaine. Second changement. »

    Quelques temps après sa lettre à Mme de Swetchine, il écrit à son ami le philosophe Bouchitté : « J’aurais eu un goût passionné pour les études philosophiques […] [mais] Ces idées conduisent aisément jusqu’à la croyance d’une cause première, qui reste tout à la fois évidente et inconcevable ; à des lois fixes que le monde physique laisse voir et qu’il faut supposer dans le monde moral ; à la providence de Dieu, par conséquent à sa justice ; à la responsabilité des actions de l’homme, auquel on a permis de connaître qu’il y a un bien et un mal, et, par conséquent, à une autre vie… » (O.C., (Bmt), t. 7, 1864, p. 475-477.)

    On aura saisi, je pense, que la question de la religion tenant un rôle capital dans l’œuvre de Tocqueville, il convient de l’aborder avec sérieux et rigueur.

    Jean-Louis Benoît