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Réponse au dernier livre de Michel Onfray et à la quintessence du condensé de F.O. Giesbert dans Le Point du 17 novembre 2017.

Le 15 août 1834, Tocqueville rejoint son ami Beaumont au château de Gallerande. Ils sont en train d’achever leurs deux ouvrages. Le propos de celui de Beaumont est la dénonciation de l’esclavage mais aussi du génocide des Indiens : Marie ou de l’esclavage aux Etats-Unis. D’un commun accord les deux amis avaient décidé que Tocqueville traiterait des institutions américaines, mais au début 1834 des émeutes raciales tournées contre les Noirs ont éclaté à New York. Situation très grave; Beaumont consacrera un chapitre à ces massacres : « L’émeute » et Tocqueville rédige un nouveau chapitre, le dernier de la première Démocratie à L’avenir des trois races, qui représente ¼ de la totalité du livre, à la dénonciation du génocide des Indiens, de l’esclavage et de la situation faite aux Indiens et aux Noirs.

Tocqueville et Beaumont avaient bien pris conscience de la nature exacte du crime contre l’humanité qui se déroulait et la publication du livre de Beaumont et l’inclusion, dans celui de Tocqueville, du chapitre X, répondaient au besoin de témoigner, de dénoncer la double atteinte au droit naturel et aux droits des individus et des peuples, véritable déni de démocratie au sein même de la grande démocratie moderne ; et, pour Tocqueville, il était devenu capital d’établir qu’il n’était pas passé à côté de l’existence de cette antinomie démocratique.

C’est là le thème de ma communication au symposium organisé par Liberty Fund à Compostelle en 2008, publiée dans l’édition de Tocqueville’s Voyage, réalisée par Christine Dunn Henderson pour Liberty Fund  

Tocqueville, Indiens,génocide, esclavage, noirs,

dont on peut lire la version française sur :

http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoit_jean_louis/reflexions_tocquevilliennes/reflexions.html

 

L’inversion de la perspective et le changement total de point de vue sur le sort réservé aux Indiens

Le dernier chapitre de La démocratie est d’autant plus remarquable qu’en ce qui concerne la question des Indiens, Tocqueville inverse la perspective du premier chapitre de l’ouvrage concernant les conditions faites aux Indiens et leur destinée. Là, après avoir souligné les vertus des Indiens, il se plaçait dans une perspective historique admettant que si les Indiens étaient certes les premiers occupants du pays, ils n’en étaient pas pour autant vraiment les propriétaires, se ralliant, en vertu de la force des lois du développement historique, au point de vue des citoyens américains pour lesquels les Indiens n’avaient été jusqu’alors que les usufruitiers temporaires du sol, « en attendant ».

Dans le chapitre X, au contraire, il dénonce avec vigueur le génocide qui est décidé et que Jackson, le premier grand génocidaire moderne, est bien décidé à mener le crime à son terme.

 

Il faut donc en finir avec les élucubrations aberrantes et malhonnêtes.

Aujourd’hui, aux Etats-Unis les défenseurs de la cause indienne prennent appui sur les textes de Tocqueville (Tamara M. Teale, Tocqueville and American Indian Legal Studies, the Paradox of Liberty and Destruction - The Tocqueville Review / La Revue Tocqueville, 1996, vol. XVII n° 2, p. 57-65.)

 

Les Noirs et les Nègres, l’esclavage et le racisme…

Littré, strict contemporain de Tocqueville note que les mots Noir et Nègre sont, à l’époque, synonymes ; la charge péjorative apparaîtra avec la fin du siècle.

 

Pour Tocqueville il existe une seule humanité ainsi qu’il l’explique, en vain, à Gobineau. Il se situe dans le prolongement immédiat de Montaigne pour lequel : Chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition et pour lequel il n’existe bien, pour l’un comme pour l’autre, qu’une seule humanité, riche de sa diversité ! C’est au nom des valeurs universelles et des droits de l’humanité que Tocqueville dénonce le génocide des Indiens et l'esclavage des Noirs.

Les principes des Lumières constituent pour Tocqueville une reprise laïcisée des valeurs universelles du christianisme originel, comme il l’affirme à Gobineau dont il condamne avec vigueur L’Essai sur l’Inégalité des Races. Pour lui, il n’existe qu’une seule humanité, une seule espèce humaine : L’homme suivant Buffon et Flourens, est donc d’une seule espèce et les variétés humaines sont produites par trois causes secondaires et extérieures : le climat, la nourriture et la manière de vivre (Lettre de Tocqueville à Gobineau, 15 mai 1852. Cette lettre donne d’emblée la position de Tocqueville qui se réfère aux Travaux de Flourens, suppléant de Cuvier au Collège de France, un an avant la controverse sur l’Essai, qui ne débute qu’en 1853).

 

L’égalité des hommes constitue donc un principe cardinal au fondement de toutes les démocraties modernes.

 

Dès leur retour des États-Unis, Tocqueville et Beaumont mènent une lutte active pour l’abolition de l’esclavage. Tocqueville ne parvient pas à faire passer sa loi dont l’objectif premier était d’« arracher 250 000 de nos semblables à l’esclavage dans lequel nous les tenons contre tous droits » comme il l’écrit dans Le Siècle du 14 décembre 1843.

En 1856, lorsque le Président James Buchanam décide d’étendre l’esclavage aux nouveaux États, Tocqueville dénonce dans ses lettres à ses amis américains ce « crime contre l’humanité » !Buchanan, esclavage, Noirs, racisme, génocide

 

Concernant l’Algérie, Onfray reprend une argumentation largement dépassée qui a vingt ans d’âge et dont j’ai montré l’inconsistance dans deux texte publiés dans Res Publica et Le Banquet en 2000.

 

La question des prises de position de Tocqueville concernant l’Algérie entre 1830 et 1847 ne peut s’aborder sans faire une approche sérieuse et diachronique. Je renvoie donc le lecteur aux pages 422 à 427 de ma biographie parue chez Perrin dans lesquelles je développe ces éléments.

 

 Contentons-nous ici de rappeler ces lignes du rapport fait par Tocqueville, en 1847, qui constituent une mise en garde claire : «  si nous enveloppions [les populations de l’Algérie], non pour les élever dans nos bras vers le bien-être et la lumière, mais pour les y étreindre et les y étouffer, la question de vie ou de mort se poserait entre les deux races. L'Algérie deviendrait, tôt ou tard, croyez-le, un champ clos, une arène murée, où les deux peuples devraient combattre sans merci, et où l'un des deux devrait mourir. Dieu écarte de nous, Messieurs, une telle destinée ! »

 Le lecteur pourra sur tous ces points consulter les entrées correspondantes dans mon Dictionnaire Tocqueville, éd. Nuvis.

Nous sommes bien loin ici du texte de Michel Onfray et la quintessence du condensé de F.O. Giesbert.

 

Saint-Aubin-des-Préaux le 3 décembre 2017.

 

Jean-Louis Benoît

 

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