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  • Portrait de Louis-Napoléon Bonaparte, 1er président de la République élu au suffrage universel

     

    (L’élection de) Louis Napoléon (à la présidence de la République) me parut la pire fin de la République. ( Tocqueville, Souvenirs Troisième partie, portrait de Louis-Napoléon Bonaparte)images.jpeg

     

     

     

     

    Il était très supérieur à ce que sa vie antérieure et ses folles entreprises avaient pu faire penser à bon droit de lui. Ce fut ma première impression en le pra­tiquant. Il déçut sur ce point ses adversaires et peut ­être plus encore ses amis, si l'on peut donner ce nom aux hommes politiques qui patronnèrent sa candida­ture. La plupart de ceux-ci le choisirent, en effet, non à cause de sa valeur, mais à cause de sa médiocrité présumée. Ils crurent trouver en lui un instrument dont ils pourraient user à discrétion, et qu'il leur serait toujours loisible de briser à volonté. En quoi ils se trompèrent fort lourdement.

    Louis Napoléon avait, comme homme privé, cer­taines qualités attachantes : une humeur bienveillante et facile, un caractère humain, une âme douce et même assez tendre, sans être délicate, beaucoup de sûreté dans les rapports, une parfaite simplicité, une certaine modestie pour sa personne au milieu de l'orgueil immense que lui donnait son origine, plus de fidélité à la reconnaissance qu'aux ressentiments. Capable clé ressentir de l'affection, il était propre à la faire naître chez ceux qui l'approchaient. Sa conversation étalt rare et stérile ; chez lui, nul art pour faire parler les autres et se mettre en rapport intime avec eux; aucune facilité à s'énoncer lui-même, mais des habitudes écrivassières et un certain amour-propre d'auteur. Sa dissimulation, qui était profonde comme celle d'un homme qui a passé sa vie dans les complots, s'aidait singulièrement de l'immobilité de ses traits et de l'insignifiance de son regard : car ses yeux étaient ternes opaques, comme ces verres épais destinés à éclairer la chambre des vaisseaux qui laissent passer la lumière, mais à travers lesquels on ne voit rien. Très insouciant du danger, il avait un beau et froid courage dans les jours de crise et, en même temps, chose assez com­mune, il était fort vacillant dans ses desseins. On le vit souvent changer de route, avancer, hésiter, reculer à son grand dommage : car la nation l'avait choisi pour tout oser, et ce qu'elle attendait de lui, c'était l'audace et non la prudence. Il avait toujours, dit-on, été très adonné aux plaisirs et peu délicat dans le choix. Cette passion de jouissances vulgaires et ce goût du bien-­être s'étaient encore accrus avec les facilités du pouvoir. Il y alanguissait chaque jour son énergie, y amortissait et rabaissait son ambition même. Son intel­ligence était incohérente, confuse, remplie de grandes pensées mal appareillées, qu'il empruntait tantôt aux exemples de Napoléon, tantôt aux théories socialistes, quelquefois aux souvenirs de l'Angleterre où il avait ,vécu, sources très différentes et souvent fort contraires. Il les avait péniblement ramassées dans des médi­tations solitaires, loin du contact des faits et des hommes, car il était naturellement rêveur et chimé­rique. Mais, quand on le forçait de sortir de ces vagues et vastes régions pour resserrer son esprit dans les limites d'une affaire, celui-ci se trouvait capable de justesse, quelquefois de finesse et d'étendue, et même d'une certaine profondeur, mais jamais sûr et toujours prêt à placer une idée bizarre à côté d'une idée juste.

    En général, il était difficile de l'approcher long­temps et de très près sans découvrir une petite veine de folie, courant ainsi au milieu de son bon sens, et dont la vue, rappelant sans cesse les escapades de sa jeunesse, servait à les expliquer.

    On peut dire, au demeurant, que ce fut sa folie plus que sa raison qui, grâce aux circonstances, fit son succès et sa force : car le monde est un étrange théâtre. Il s'y rencontre des moments où les plus mauvaises pièces sont celles qui y réussissent le mieux. Si Louis Napoléon avait été un homme sage, ou même un homme de génie, il ne fût jamais devenu président de la République.

    Il se fiait à une étoile ; il se croyait fermement l'ins­trument de la destinée et l'homme nécessaire. J'ai tou­jours cru qu'il était réellement convaincu de son droit, et je doute que Charles X ait jamais été plus entiché" de sa légitimité qu'il l'était de la sienne; aussi incapable, du reste, que celui-ci, de rendre raison de sa foi : car s'il avait une sorte d'adoration abstraite pour le peuple, il ressentait très peu de goût pour la liberté. Le trait caractéristique et fondamental de son esprit en matière politique, était la haine et le mépris des assemblées. Le régime de la monarchie constitutionnelle lui paraissait plus insupportable que celui même de la République. L'orgueil que lui donnait son noms, qui était sans bornes, s'inclinait volontiers devant la nation, mais se révoltait à l'idée de subir l'influence d'un parlement.

    Il avait eu, avant d'arriver au pouvoir, le temps de renforcer ce goût naturel que les princes médiocres ont toujours pour la valetaille, par les habitudes de vingt ans de conspirations passés au milieu d'aventuriers de bas étage, d'hommes ruinés ou tarés, de jeunes débauchés, seules personnes qui, pendant tout ce temps, avaient pu consentir à lui servir de complaisants ou de complices. Lui-même, à travers ses bonnes manière, laissait percer quelque chose qui sentait l'aventurier et le prince de hasard. Il continuait à se plaire au milieu de cette compagnie subalterne, alors qu'il n'était plus obligé d'y vivre. Je crois que la difficulté qu'il avait à exprimer ses pensées autrement que par écrit l'atta­chait aux gens qui étaient depuis longtemps au courant de ses idées et familiers avec ses rêveries, et que son infériorité dans la discussion lui rendait, en général, le contact des hommes d'esprit assez pénible. Il dési­rait, d'ailleurs, avant tout, rencontrer le dévouement à sa personne et à sa cause (comme si sa personne et sa cause avaient pu le faire naître) ; le mérite le gênait pour peu qu'il fût indépendant. Il lui fallait des croyants en son étoile et des adorateurs vulgaires de sa fortune. On ne pouvait donc l'approcher qu'en passant à travers un groupe de serviteurs intimes et d'amis par­ticuliers, dont le général Changarnier me disait, dès ce temps-là, qu'on pouvait les définir presque tous par ces deux mots qui rimaient ensemble : escrocs et marauds. En somme rien n'était au-dessous de ses familiers si ce n'est sa famille composée en majeure partie de vauriens et de drôlesses.

    Tel est l'homme que le besoin d'un chef et la puis­sance d'un souvenir avaient mis à la tête de la France, et avec lequel nous allions avoir à la gouverner.

     

     

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  • L’Eglise et L’Etat, politique, religion et laïcité

    L’Eglise et L’Etat, politique, religion et laïcité

    Benoit XVI & Sarko.jpgVoici quelques mois on a cru bon, dans les sphères du pouvoir, en France et au Vatican, de faire appel à Tocqueville pour renforcer les liens entre un Etat qui se veut laïc et les religions. C’est oublier que Tocqueville a souligné que la première chose qui l’a frappé, en arrivant aux Etats-Unis, avait été de constater chez un peuple « religieux » la séparation effective du religieux et du politique. Alors qu’en France le traumatisme des persécutions religieuses de la Révolution subsiste, les États-Unis offrent l’exemple d’un peuple et d’un État vivant sous un régime démocratique dans lequel la religion est d’autant mieux établie et d’autant plus forte qu’elle est séparée du politique ; mieux encore, c’est dans l’exacte mesure où la religion reste à l’écart de la sphère politique qu’elle est la principale force politique du pays :

    « À mon arrivée aux États-Unis, ce fut l'aspect religieux du pays qui frappa d'abord mes regards.[…]

    J'avais vu parmi nous l'esprit de religion et l'esprit de liberté marcher presque tou­jours en sens contraire. Ici, je les retrouvais intimement unis l’un à l'autre : ils régnaient ensemble sur le même sol.

    Chaque jour je sentais croître mon désir de connaître la cause de ce phénomène.[…]

    Ceci me conduisit à examiner plus attentivement que je ne l'avais fait jusqu'alors la position que les prêtres américains occupent dans la société politique. Je reconnus avec surprise qu'ils ne remplissent aucun emploi public. Je n'en vis pas un seul dans l'administration, et je découvris qu'ils n'étaient pas même représentés au sein des assemblées.

    La loi, dans plusieurs États, leur avait fermé la carrière politique ; l'opinion dans tous les autres.

    Lorsque enfin je vins à rechercher quel était l'esprit du clergé lui-même, j'aperçus que la plupart de ses membres semblaient s'éloigner volontairement du pouvoir, et mettre une sorte d'orgueil de profession à y rester étrangers ».

    Pour le reste, Tocqueville se garde bien de juger ce qu’il en est de la foi réelle et du conformisme, de l’authenticité et du pharisaïsme et/ou des convenances d’une société puritaine. Pour l’individu avoir la foi et poser les gestes de la foi sont deux choses différentes ; pour la société, l’apparence compte plus que le fond des choses. Peu importe, pour la société, qu’un acte soit authentiquement religieux ou moral puisque d’un point de vue sociétal l’apparence offre ici la même garantie pour le corps social que la réalité : l’exigence sectaire est purement formelle et se moque bien des canons kantiens ainsi qu’il l’écrit à son ami Kergorlay :

    « [Aux États-unis] on suit une religion comme nos pères prenaient une médecine au mois de mai, si ça ne fait pas de bien, a-t-on l’air de dire, au moins ça ne peut pas faire de mal, et il est d’ailleurs convenable de se conformer à la règle commune ».

    On le voit le propos est familier ce qui se comprend mieux quand on sait que Tocqueville était essentiellement agnostique.

     

    En 1858, Monseigneur Daniel, évêque de Coutances ayant appelé, par trois fois, les paroissiens de son diocèse à prier pour l’envoyé du Très-Haut, Tocqueville - qui n’imaginait pas celui-ci avec la barbichette et les yeux globuleux de Napoléon III - prend sa plume et écrit à son évêque ce petit texte dont on admirera l’ironie :

     

     

     

    À MONSEIGNEUR ***, ÉVÈQUE DE...

    Tocqueville, 4 mars 1858

     

    Monseigneur,

    Je viens de recevoir l’Instruction pastorale que vous avez bien voulu m’adresser.

    J'ai été très-touché que vous ayez bien voulu vous souvenir de moi dans cette circonstance. Veuillez agréer l'expression de ma vive reconnaissance. Je vous ai lu, monseigneur ; je vous ai admiré. J'ai admiré cette abondance de la parole qui n'ôte rien à la précision de l'idée ; l'éclat du langage ; la force de la pensée que les richesses de l'expression ornent et n'énervent point. J'ai reconnu, en un mot, les dons particuliers de voire éloquence, de cette éloquence qui pénètre dans l'esprit et touche le cœur.

    En même temps que je vous exprime avec une parfaite sincérité ces sentiments que la lecture de votre Mandement m'a inspirés, me permettrez-vous, monseigneur, de vous soumettre, avec toute la défiance que je dois avoir en moi-même quand je vous parle, une observation critique. Elle se rapporte à ce paragraphe du Mandement, page 31, où vous parlez de l'Envoyé du Très-Haut, Celui que sa grâce a choisi, ce Ministre des divins Conseils, etc. Il m'a paru que ces paroles impliquaient une sorte de consécration au nom de la religion [ du gouvernement actuel ] ; et j'avoue avec candeur que venant d'un homme tel que vous, elles m'ont ému. Je ne veux point assurément, entrer dans une discussion politique. Je me suppose ami des institutions actuelles (ce que je confesse que je ne suis point), et, partant de cette donnée même, je me demande s'il n'y a pas quelque danger pour la religion à prendre parti pour le pouvoir nouveau et à le recommander en pareils termes au nom de Dieu. J'ai vu, de mon temps même, l'Église mêler aussi sa cause à celle du premier empereur ; je l'ai vue de même couvrir de sa parole la Restauration ; et il ne m'a pas semblé qu'elle eût profité de cette conduite. Dans un pays en révolution comme le nôtre, les jugements qui sont portés sur le pouvoir du moment ne sauraient être unanimes. Dans ces temps malheureux, on ne blâme pas seulement les actes du gouvernement ; on conteste sa moralité, ses droits. Il y a encore aujourd'hui, en France, un grand nombre d'hommes qui regardent comme un acte de conscience de ne point reconnaître le nouveau pouvoir. Je crois qu'on ne saurait nier que parmi ceux-là il ne s'en trouve plusieurs qui par l'étendue de leurs lumières, l'honnêteté de leur vie, souvent par la sincérité de leur foi, sont les alliés naturels de l'Église, je dirais ses alliés nécessaires, si la religion n'avait sa principale force en elle-même.

    Parmi ceux mêmes qui approuvent la marche actuelle du pouvoir, combien peu ont honoré ses débuts et ses premiers actes ? [ Violer les serments les plus solennellement prêtés ou rejetés, renverser par la violence les lois qu’on s’était chargé de protéger, mitrailler dans Paris des hommes désarmés pour inspirer une terreur salutaire et prévenir la résistance... Ces actes, et je pourrais assurément en ajouter beaucoup d’autres, ] ces actes peuvent être excusés et même approuvés par la politique ; mais la loi morale universelle les réprouve [ absolument ]. Ceux qui ont présents ces souvenirs si récents de notre histoire, [ ne peuvent manquer d’éprouver ] un trouble douloureux au fond de leur âme et une sorte d'ébranlement de leur croyance, en entendant les voix les plus autorisées couvrir de pareils actes au nom de la morale éternelle [ un pouvoir si nouveau et qui a ainsi commencé ].

    Voilà du moins, Monseigneur, le doute que je me permets de vous soumettre, en faisant appel à votre indulgence en faveur d'un homme qui professe pour vous autant de respect que d'attachement.

    Alexis buste.jpg

    Les récentes prises de position de Benoît XVI me rappellent les propos d’un de mes amis, Etienne Charpentier, l’un des grands biblistes français disparu voici 25 ans : « L’Église catholique me fait penser à l’un de ces chats des dessins animés qui avancent levant la tête, voire fermant les yeux, sans s’apercevoir qu’au bout d’un moment ils marchent au-dessus du vide ».Benoit 16 Sarko1.jpg

     

     

    (J’ai reproduit ici le texte tel qu’il parut dans le tome VII de l’édition Beaumont, mais j’ai fait apparaître en caractères gras et entre [...] ce qui avait été supprimé par (ou pour) la censure. Malgré ces suppressions, l’attaque restait forte, contre le régime et contre l’attitude de l’évêque.)Religion & société2.doc

    Tocqueville & la religion txt jlb.doc

    On pourra également se reporter aux deux adresses suivantes :

    http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoit_jean_louis/benoit_jean_louis.html

    http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/de_tocqueville.html

     



     

  • Des nouvelles du site consacré à Tocqueville

    Chers amis, chers collègues,

    J'ai cessé de tenir ce blog depuis plusieurs mois maintenant. Il était trop composite - je traiterai sur un autre blog de l'actualité politique car il n'est plus possible de ne pas analyser ce qui se passe - et, en outre j'ai consacré de longs moments à des recherches documentaires qu'il me faut maintenant mettre en forme.

    Ce blog sera donc consacré désormais uniquement à l'actualité des travaux et recherches tocquevilliennes.

    Dans l'immédiat je vous indique les liens qui vous permettront d'accéder au site de Jean-Marie Tremblay, site bénévole et très remarquable qui met en ligne plus de 4000 textes des classiques des sciences sociales, du XVIIIe siècle à nos jours.

    Jean-Marie Tremblay m'a fait l'amitié de mettre en ligne deux de mes ouvrages :

    Tocqueville, Notes sur le Coran et autres textes sur les Religions notes_sur_le_coran_L8.jpg

    et

    Alexis de Tocqueville, Textes économiques, Anthologie critique, publié avec Eric Keslassy.textes_economiques_L17.jpg

    Vous pourrez en outre le texte de communications que j'ai faites dans des colloques internationaux (texte de ma communication au colloque du bicentenaire, faite à la Beinecke Library de l'Université Yale de New Haven), textes de conférences et d'articles publiés dans des revues spécialisées. Enfin des dossiers à l'usage des lycéens et étudiants, mais aussi à leurs professeurs et à l'honnête homme du XXIe siècle désireux d'obtenir des renseignements biographiques et bibliographiques sur Tocqueville.

    Donc, dans l'immédiat, je vous souhaite une bonne lecture. 

    JLB

    jennifer.jpgAvec Jennifer Pitts et Lucia, devant le buste d'Alexis, à Tocqueville.

     

    http://classiques.uqac.ca/

     

    http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoit_jean_louis/benoit_jean_louis.html

    http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/de_tocqueville.html