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L’Eglise et L’Etat, politique, religion et laïcité

L’Eglise et L’Etat, politique, religion et laïcité

Benoit XVI & Sarko.jpgVoici quelques mois on a cru bon, dans les sphères du pouvoir, en France et au Vatican, de faire appel à Tocqueville pour renforcer les liens entre un Etat qui se veut laïc et les religions. C’est oublier que Tocqueville a souligné que la première chose qui l’a frappé, en arrivant aux Etats-Unis, avait été de constater chez un peuple « religieux » la séparation effective du religieux et du politique. Alors qu’en France le traumatisme des persécutions religieuses de la Révolution subsiste, les États-Unis offrent l’exemple d’un peuple et d’un État vivant sous un régime démocratique dans lequel la religion est d’autant mieux établie et d’autant plus forte qu’elle est séparée du politique ; mieux encore, c’est dans l’exacte mesure où la religion reste à l’écart de la sphère politique qu’elle est la principale force politique du pays :

« À mon arrivée aux États-Unis, ce fut l'aspect religieux du pays qui frappa d'abord mes regards.[…]

J'avais vu parmi nous l'esprit de religion et l'esprit de liberté marcher presque tou­jours en sens contraire. Ici, je les retrouvais intimement unis l’un à l'autre : ils régnaient ensemble sur le même sol.

Chaque jour je sentais croître mon désir de connaître la cause de ce phénomène.[…]

Ceci me conduisit à examiner plus attentivement que je ne l'avais fait jusqu'alors la position que les prêtres américains occupent dans la société politique. Je reconnus avec surprise qu'ils ne remplissent aucun emploi public. Je n'en vis pas un seul dans l'administration, et je découvris qu'ils n'étaient pas même représentés au sein des assemblées.

La loi, dans plusieurs États, leur avait fermé la carrière politique ; l'opinion dans tous les autres.

Lorsque enfin je vins à rechercher quel était l'esprit du clergé lui-même, j'aperçus que la plupart de ses membres semblaient s'éloigner volontairement du pouvoir, et mettre une sorte d'orgueil de profession à y rester étrangers ».

Pour le reste, Tocqueville se garde bien de juger ce qu’il en est de la foi réelle et du conformisme, de l’authenticité et du pharisaïsme et/ou des convenances d’une société puritaine. Pour l’individu avoir la foi et poser les gestes de la foi sont deux choses différentes ; pour la société, l’apparence compte plus que le fond des choses. Peu importe, pour la société, qu’un acte soit authentiquement religieux ou moral puisque d’un point de vue sociétal l’apparence offre ici la même garantie pour le corps social que la réalité : l’exigence sectaire est purement formelle et se moque bien des canons kantiens ainsi qu’il l’écrit à son ami Kergorlay :

« [Aux États-unis] on suit une religion comme nos pères prenaient une médecine au mois de mai, si ça ne fait pas de bien, a-t-on l’air de dire, au moins ça ne peut pas faire de mal, et il est d’ailleurs convenable de se conformer à la règle commune ».

On le voit le propos est familier ce qui se comprend mieux quand on sait que Tocqueville était essentiellement agnostique.

 

En 1858, Monseigneur Daniel, évêque de Coutances ayant appelé, par trois fois, les paroissiens de son diocèse à prier pour l’envoyé du Très-Haut, Tocqueville - qui n’imaginait pas celui-ci avec la barbichette et les yeux globuleux de Napoléon III - prend sa plume et écrit à son évêque ce petit texte dont on admirera l’ironie :

 

 

 

À MONSEIGNEUR ***, ÉVÈQUE DE...

Tocqueville, 4 mars 1858

 

Monseigneur,

Je viens de recevoir l’Instruction pastorale que vous avez bien voulu m’adresser.

J'ai été très-touché que vous ayez bien voulu vous souvenir de moi dans cette circonstance. Veuillez agréer l'expression de ma vive reconnaissance. Je vous ai lu, monseigneur ; je vous ai admiré. J'ai admiré cette abondance de la parole qui n'ôte rien à la précision de l'idée ; l'éclat du langage ; la force de la pensée que les richesses de l'expression ornent et n'énervent point. J'ai reconnu, en un mot, les dons particuliers de voire éloquence, de cette éloquence qui pénètre dans l'esprit et touche le cœur.

En même temps que je vous exprime avec une parfaite sincérité ces sentiments que la lecture de votre Mandement m'a inspirés, me permettrez-vous, monseigneur, de vous soumettre, avec toute la défiance que je dois avoir en moi-même quand je vous parle, une observation critique. Elle se rapporte à ce paragraphe du Mandement, page 31, où vous parlez de l'Envoyé du Très-Haut, Celui que sa grâce a choisi, ce Ministre des divins Conseils, etc. Il m'a paru que ces paroles impliquaient une sorte de consécration au nom de la religion [ du gouvernement actuel ] ; et j'avoue avec candeur que venant d'un homme tel que vous, elles m'ont ému. Je ne veux point assurément, entrer dans une discussion politique. Je me suppose ami des institutions actuelles (ce que je confesse que je ne suis point), et, partant de cette donnée même, je me demande s'il n'y a pas quelque danger pour la religion à prendre parti pour le pouvoir nouveau et à le recommander en pareils termes au nom de Dieu. J'ai vu, de mon temps même, l'Église mêler aussi sa cause à celle du premier empereur ; je l'ai vue de même couvrir de sa parole la Restauration ; et il ne m'a pas semblé qu'elle eût profité de cette conduite. Dans un pays en révolution comme le nôtre, les jugements qui sont portés sur le pouvoir du moment ne sauraient être unanimes. Dans ces temps malheureux, on ne blâme pas seulement les actes du gouvernement ; on conteste sa moralité, ses droits. Il y a encore aujourd'hui, en France, un grand nombre d'hommes qui regardent comme un acte de conscience de ne point reconnaître le nouveau pouvoir. Je crois qu'on ne saurait nier que parmi ceux-là il ne s'en trouve plusieurs qui par l'étendue de leurs lumières, l'honnêteté de leur vie, souvent par la sincérité de leur foi, sont les alliés naturels de l'Église, je dirais ses alliés nécessaires, si la religion n'avait sa principale force en elle-même.

Parmi ceux mêmes qui approuvent la marche actuelle du pouvoir, combien peu ont honoré ses débuts et ses premiers actes ? [ Violer les serments les plus solennellement prêtés ou rejetés, renverser par la violence les lois qu’on s’était chargé de protéger, mitrailler dans Paris des hommes désarmés pour inspirer une terreur salutaire et prévenir la résistance... Ces actes, et je pourrais assurément en ajouter beaucoup d’autres, ] ces actes peuvent être excusés et même approuvés par la politique ; mais la loi morale universelle les réprouve [ absolument ]. Ceux qui ont présents ces souvenirs si récents de notre histoire, [ ne peuvent manquer d’éprouver ] un trouble douloureux au fond de leur âme et une sorte d'ébranlement de leur croyance, en entendant les voix les plus autorisées couvrir de pareils actes au nom de la morale éternelle [ un pouvoir si nouveau et qui a ainsi commencé ].

Voilà du moins, Monseigneur, le doute que je me permets de vous soumettre, en faisant appel à votre indulgence en faveur d'un homme qui professe pour vous autant de respect que d'attachement.

Alexis buste.jpg

Les récentes prises de position de Benoît XVI me rappellent les propos d’un de mes amis, Etienne Charpentier, l’un des grands biblistes français disparu voici 25 ans : « L’Église catholique me fait penser à l’un de ces chats des dessins animés qui avancent levant la tête, voire fermant les yeux, sans s’apercevoir qu’au bout d’un moment ils marchent au-dessus du vide ».Benoit 16 Sarko1.jpg

 

 

(J’ai reproduit ici le texte tel qu’il parut dans le tome VII de l’édition Beaumont, mais j’ai fait apparaître en caractères gras et entre [...] ce qui avait été supprimé par (ou pour) la censure. Malgré ces suppressions, l’attaque restait forte, contre le régime et contre l’attitude de l’évêque.)Religion & société2.doc

Tocqueville & la religion txt jlb.doc

On pourra également se reporter aux deux adresses suivantes :

http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoit_jean_louis/benoit_jean_louis.html

http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/de_tocqueville.html

 



 

Commentaires

  • Cette lecture m a semble beaucoup courte, merci beaucoup pour ce a vous lire.

  • Vraiment sympathique le dessin de votre blog, il l'aime beaucoup, l'avez-vous provoquer vous même ?

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